Terre promise
Voici que ma pensée accouche en la nature :
Vient le moment d’automne où l’on voit un sillon
Rejoindre le ciel noir avec son bataillon :
Semailles et labours, ô charnelle ouverture !
Nous irons tous aux champs, dans la beauté future,
La brise en nos habits deviendra l’aquilon
Et les eaux d’ici-bas se feront tourbillon,
Larmes d’un monde clos que l’océan capture !
Surtout regarde bien le grand déclin des jours
Il reviendra le temps de la moisson d’amours,
Car déjà tes yeux purs ont vu l’herbe promise !
Si de la glèbe imberbe on fait des creux béants,
C’est pour que la semence y puisse être soumise,
Labeur intemporel qui nous grime en géants !
Dix août dix-sept
Styx
Ah ! Combien je suis fou d’avoir suivi l’étoile
Qui longea mon chemin un beau soir de juillet,
Transfigurant l’azur de son pas inquiet,
Comme un peintre inspiré met du rouge à sa toile !
Des flots amers du Styx le méandre on dévoile,
Mais que devient Cratos qui jadis châtiait
Les amours éternels qu’un dieu lui confiait ?
Quand le vent de l’enfer asservissait sa voile !
Et moi, simple quidam par ses feux attendri,
Recevrai-je au centuple un salaire amoindri ?
Au jour de l’agonie et du feu qui s’exhale !
Un geste de sa part et me voici debout,
Tant la pierre à mon cou, vision colossale,
Sert à mon corps de lest et je domine tout !
Vingt-trois octobre dix-huit
La barbe d'Aaron
Le Prophète m’a dit : « si la vie éternelle
Consiste à réciter bien plus que de raison
L’ultime patenôtre en guise d’oraison,
Il te faut revêtir la parure charnelle ! »
Car qui cherche l’azur comme aube maternelle,
Ne trouve que l’hiver pour unique saison,
Dans les plis du néant sa dernière maison,
Mesurant son prochain à l’aune fraternelle !
Et bientôt il se peut que l’esprit sous les coups,
Demeure sans espoir un esclave à genoux,
Pourrissant comme un fruit à la chair dévoyée !
O ces cris bien aigus imitant le clairon,
Et ces pleurs d’un moment à gorge déployée,
Pareils aux eaux lustrant la barbe d’Aaron !
Cinq novembre dix-huit
Les uns, les autres
Les uns, l’âme anoblie, ouvrent tout grand leurs ailes,
Lors qu’un tas de soudards médisant de la foi
Se donne librement le vil excès pour roi,
Faisant monter au ciel des paroles cruelles !
Or ce qui se construit l’est à coups de truelles,
L’église ou la maison que l’on bâtit pour soi,
En se fiant au plan qu’on suit comme une loi,
Mais il faut transpirer quand on se passe d’elles !
L’aquilon querelleur éparpille l’encens,
Comme ces cierges vieux à jamais frémissants,
Sous leur dais abêti de flamme et de buée !
Je meurs ! Et bien alors saisis-toi d’une fleur !
Pas la bruyère sèche ou l’herbe exténuée
Et mets- la sur l’autel d’un geste persifleur !
Six novembre dix-huit
Prison
Les temps étaient troublés et la terre si ronde,
Mais je vivais selon mon for intérieur,
Cherchant dans l’au-delà quelque propos rieur
Qui m’aurait épargné la tristesse du monde !
O le rosier charnel que la souffrance émonde,
Quand l’être en son destin se veut supérieur,
Jouant avec le sort comme un vil parieur,
Aux jours de l’incertain qui d’un trait nous inonde !
Hélas ! Vers l’avenir de la dure raison,
Sur le sable mouvant l’on bâtit sa maison,
Prisonnier des liens de cet autre soi-même !
L’homme fait du fatum le symbole vivant,
De l’amère prison que bien souvent l’on aime,
Choisissant le passé plus qu’aller en avant !
Huit novembre dix-huit
Délivrance
Décharger sur le Christ ce fardeau qui nous pèse,
Voilà le geste vrai que l’on peut accomplir,
Quand les soucis d’un jour ne font que nous remplir
D’effrois et de langueurs, et bien sûr pour notre aise !
O ce regard de feu qui perce et nous apaise,
D’où sans cesse ressort ce désir d’assouplir,
De saisir notre main sans jamais discourir,
Si près du Dieu vivant mais bien loin de l’ascèse !
Or pourquoi ces concepts soumis à tous les vents,
Ces rumeurs de combats, raisonnements mouvants ?
Qui prononcent le deuil jusqu’aux lieux où nous sommes !
En dehors d’un Jésus, ainsi qu’un grand Sauveur,
Défiant par l’Esprit les invincibles Romes,
Qui pourra mon ami t’affranchir de la peur ?
Neuf novembre dix-huit
La conscience
Je ne sais le niveau de douleur et de joie,
Que Dieu notre Seigneur aura prévu pour nous,
La mesure d’espoir qui fera qu’à genoux,
L’univers se dissout et la terre flamboie !
Mais ne ressens-tu pas ce destin qui s’emploie
A réveiller notre âme au moyen le moins doux ?
Quand l’horizon défait masqué par des burnous
Place le terrorisme à l’égal d’une proie !
Voyez-vous, mes amis, l’ennui se fait vital,
Et le conflit présent comme fondamental,
Jetant la conscience au plus loin de soi-même !
La tristesse est venue et j’ai saisi sa main :
O le port assombri de l’étranger qu’on aime,
Lorsqu’on sort du racisme abêtissant l’humain !
Dix novembre dix-huit
Conflits
Il viendra des conflits et des rumeurs de guerre,
Comme ces accidents que l’on ne peut prévoir,
Qui font de l’existence un dur faire-valoir,
Lorsque le souffle part en un instinct grégaire !
J’ai connu bien des gens qui s’amusaient naguère,
A plonger dans un trou pareil à ce brûloir,
Qui ressemble souvent à ce grand refouloir,
Que l’orgueil de la vie adoube, si vulgaire !
Oui, tu n’y penses pas, te voilà jeune encor,
Et bien que sur ton front la ride à ton décor
Ô ne sied pas vraiment aux accents de la fête,
Tu peux toujours clamer : et bien encor je suis !
Le cheveu devient rare au sommet de ta tête,
Et déjà la camarde apparaît dans tes nuits !
Onze novembre dix-huit
Le lac
Je ne reverrai pas les abords de mon île
Chérie ! Un mal cruel s’est emparé de moi,
Je vis mes derniers jours avec un grand effroi,
Et l’eau de ma jeunesse apparait versatile !
Plus jamais dans mon dos le poids du grain fertile,
La gourde de vin doux qui me déclarait roi,
Les tartines de pain que l’on couvrait d’émoi,
Et les provisions qu’on ajoutait en pile !
O mon Dieu se peut-il que la douce raison,
M’éloignât de la rive où passait la saison ?
Ce flux de tous les temps qui coule à ma paupière !
J’ose toiser la vague en ce matin mauvais !
De mon œil attendri le pur flot bat la pierre :
Ne le sens-tu peiné de voir que je m’en vais ?
Douze novembre dix-huit
Amour et guerre
Obsédé que tu fus par le bruit de la guerre,
Tu négligeas Manon, sur le bord du chemin,
Toi qui venais pourtant de lui donner la main,
Préférant le shrapnell aux baisers de naguère !
Au cadran du combat le temps se fait vulgaire,
Et les soldats ensemble iront tous vers demain,
Laissant leur signature au bas d’un parchemin,
Sous la forme de plis auxquels ils ne croient guère !
Comme quelqu’un qui souffre en brandissant le fer,
Loin de la vie atone et si près de l’enfer,
Tu t’approches d’un trait de la mort qui te charme !
Un tumulte se fait dans ton intérieur,
Et dans tes yeux boueux pourtant pas une larme :
Te souviens-tu déjà de ton passé rieur ?
Quatorze novembre dix-huit
Libre de choisir
Je ne sais plus en qui mettre ma confiance :
Est-ce en le Seigneur Dieu bien trop souvent omis,
Ou le sens impromptu d’un mot que je commis,
Et qui représentait un homme en déchéance !
Parmi les saints concepts aucune doléance ;
Dans les sphères du monde il apparait admis,
Que le Père éternel parle sans compromis,
Mais toujours en gardant un trait de bienséance !
Les uns glosent sur Freud et d’autres sur Lacan,
Justifiant de l’être un spécieux carcan,
Dont l’on souffre bientôt tout au long de la vie !
L’esprit humain se plaint de vivre sans plaisir,
Des massacres charnels Christ n’en avait envie,
Mais l’homme fut créé libre de Le choisir !
Quinze novembre dix-huit
Religion
Aucun ne veut l’enfer mais l’on procède comme :
Les uns invoquent Dieu, les autres le démon,
Mais chacun dans sa vie obéit à Mammon,
Ce seigneur de l’argent qui règne sur tout homme !
Refaire le récit d’Adam et de la pomme,
Voilà ce que propose une église au sermon,
Bientôt larguant un ris dans le mas d’artimon,
Lorsque le vent du monde arrive et nous assomme !
La nuit profonde vient comme un épi trop mûr,
Nenni le Christ vivant n’est prisonnier d’un mur !
Et nos instincts meurtris cherchent la plénitude !
Allons ! Adorez-moi toujours en vérité,
Vous tous qui croupissez dans cette solitude
Qui parcoure mon peuple avant l’éternité !
Seize novembre dix-huit
Les quatre saisons
Combien nous avons froid en ce mois de décembre !
Où l’aurore a du mal à sortir de la nuit,
Quand le soleil d’hiver qui lentement s’enfuit,
Illumine nos corps que le frimas démembre !
Et toi, rayon d’été, tu n’es que l’antichambre
De ces moments d’automne où la nature suit,
La courbe du déclin, sans émettre aucun bruit,
Conférant à l’azur de délicats traits d’ambre !
Quant au printemps rieur, saison à la vertu
Primesautière et chaste, il aura combattu,
Les derniers soubresauts d’un combat sans limites !
Mais les âmes, esprits en tous genres qui vont,
Ne connaissent du temps, prophètes pleins de mythes,
Que le symbole hideux d’un climat plus profond !
Dix-sept novembre dix-huit
L'oiseau formidable
J’ai vu dedans la nue un oiseau formidable,
Qui de son aile en croix faisait trembler l’azur,
Je l’aperçois encor mais je ne suis plus sûr
De son immense taille, ô mystère insondable !
Ce devait être un ange au blanc intimidable,
Et quand je regardais le ciel combien impur,
Je voyais un halo comme un brûlot obscur,
Parmi l’immensité d’un noir indéfendable !
Se souvenant du gouffre, alors il s’écria :
« Je n’ai jamais voulu faire le paria,
Chevaucher l’infini que le rayon n’étoile » !
Pareil aux orphelins recueillis en Son sein,
Le voici donc soumis au sempiternel voile,
Volant en paradis comme un divin essaim !
Vingt novembre dix-huit
La brèche
Mais j’aurais souhaité que tout passe avec grâce,
Les bons, les mauvais jours, comme ce nouveau-né,
Que sa mère attendrie allaite, façonné
Par une affection qui confond tout l’espace !
Puisqu’il me faut subir l’engeance de ma race,
Permets-moi, mon Seigneur, que l’être acoquiné
Soit le dernier rempart contre le forcené
Qui voudrait avilir ma précieuse trace !
Et s’il faut disparaître au-dedans de l’obscur,
Ouvre-moi s’il te plait la brèche dans le mur,
Afin que mon esprit s’approche du mystère !
Et lorsque sans me plaindre en vains salmigondis,
Quand j’aurais bien souffert du méchant sur la terre,
Que mon âme s’en aille au divin Paradis !
Vingt-deux novembre dix-huit
Adieu
Adieu, mes chers parents, il faut que je m’en aille ;
Ta voix, ma bien-aimée en ce rêve si beau
M’éloigne chaque jour un peu plus du tombeau ;
Mère, je t’ai quittée, et pour une autre entraille !
Père, je l’ai choisie ainsi qu’une bataille,
Tous nos désirs brillaient en un puissant flambeau,
Ecartant par nos feux un bonheur en lambeau,
L’âme se réjouit quand tout le corps tressaille !
O les concepts impurs prononcés à mi-voix,
Les mots si superflus que l’on se dit parfois,
Alors que l’on s’endort sur de cinglants murmures !
D’autres vont passer là, la mort suit les amours,
Alors que ferons-nous quand les moissons sont mûres ?
Peut-être ne peut-on rire et chanter toujours ?
Vingt-quatre novembre dix-huit
Les amours feints
Je ne t’ai rien promis mon amie il me semble,
Ni le sexe à tout-va quand rien ne semble aller,
Ni ces « Je t’aime ! » feints où l’on peut s’installer,
Si ce n’est le désir de se connaître ensemble !
Tu n’existes sans moi, dans le profond va l’amble,
Nos esprits sans limite ont du mal à râler,
Quand il s’agit de dire où l’on peut décaler,
Ce surplus d’amour faux qui fait que l’âme tremble !
Dans la dispute, essor du trop-plein impuni,
Sortent des mots succincts à l’aspect infini,
Qui portent jusqu’aux cieux la majesté de l’ombre !
Si parmi le néant paraît le séraphin,
Et dans l’agression, si tu ne vois qu’un nombre,
Alors révolte-toi sans attendre la fin !
Vingt-six novembre dix-huit
La vigne et les vignerons
Il faisait encor bon en ce mois de septembre :
Le jus coulait à flots dans les cuves d’airain,
Le vigneron joyeux allait, venait, serein,
Plein d’admiration devant la couleur ambre !
Regarde ces grands fûts, du verre l’antichambre ;
Disposant de fraîcheur le maître souverain,
Règne en seigneur dessus l’espace souterrain
Et les ceps au long cours que le tailleur démembre !
En attendant de boire entre nous, je le vois,
S’il manque d’ouvriers au plus fort des vendanges,
Alors remets ton sort ; « mais à qui ? » dit la voix !
A ce vin dont on trinque et que rien ne dément ;
Mais tu comprendras que le raisin que tu manges,
T’agacera la bouche, ombre de châtiment !
Vingt-neuf novembre dix-huit
Les manifestants
Comme un homme qui court en fuyant la matraque,
(Chaque coup encaissé se montre intérieur,
Loin de l’affection et du geste rieur)
Je fonce vers le but pour sortir de la traque !
J’ai vu la mer s’ouvrir et l’horizon qui craque :
Peut-être faudrait-il l’état antérieur ?
Afin de retrouver l’ordre supérieur,
Dans ce temps assassin où le fusil on braque !
Au son du pistolet, comme un vil paria,
Dessus la barricade un d’entre eux s’écria :
« Anarchistes, mourez ! Vive la république ! »
Pourtant il s’agissait de simples émeutiers,
Juste bourrés d’espoir, mais alors qu’on m’explique,
Le châtiment si dur que dictaient les mortiers !
Neuf décembre dix-huit
Je m'en vais ...
Vous ne me verrez plus, loin de l’idolâtrie :
Le temps a frissonné, voici que je m’en vais,
Mais la victoire est là, finis les jours mauvais,
Et ma dépouille ardente, elle s’en va meurtrie !
O le sort de Judas qu’un baiser expatrie !
D’un amour inouï je posais les brevets,
Quand les esprits du mal s’agitaient aux chevets,
De vos esprits rêveurs, près de l’âme flétrie !
Vois se lever déjà des cieux bien éclatants,
Qui renaissent encor comme un air de printemps,
La beauté dans l’azur, au meilleur des deux mondes !
Et l’on sent se durcir les aquilons dorés,
Pour toujours rugissant, s’immergeant dans les ondes,
Les continents en deuil à jamais dévorés !
Dix-sept décembre dix-huit
La chute
Au matin du Salut plus rien n’était possible,
Mais dès qu’Il expira le cosmos fut plus beau,
Et pendant les trois jours séjournés au tombeau,
La résurrection fomenta l’indicible !
Or pourquoi donc Adam a-t-il manqué la cible ?
Entraînant dans sa chute une terre en lambeau,
Puis où donc émigra le céleste flambeau ?
Trouverons-nous du Christ la joie incoercible ?
O tous ces paradis pour le moins ignorés,
Cet homme et cette femme ainsi désespérés
Que l’univers perçoit comme on voit dans un rêve !
Tous deux fuirent d’Eden avec grande terreur ;
Les voilà tout à coup esseulés sur la grève
De leurs entendements, charmés par leur erreur !
Vingt-et-un décembre dix-huit
Je sais
Nulle trace ici-bas des paroles sublimes,
Mais où sont donc partis les lendemains chantants ?
Que l’on nous promettait depuis la nuit des temps,
Plus ou moins parcourus de bien étranges frimes !
Pas besoin aujourd’hui de recourir aux rimes,
Dès le premier regard je sais que tu m’attends,
A chercher le bonheur aux revers éclatants,
Du plus petit forfait aux gigantesques crimes !
Me voici donc marri face à tous mes remords,
Le temps a pris la fuite et voit mes parents morts,
N’aurais-je pas en somme assez tenu ma bouche ?
Fallait-il s’incliner devant tant de néants ?
Lever les bras au ciel, misérable et farouche,
Pour bouter hors de moi les désespoirs béants !
Trente décembre dix-hui
Ce que j'ignorais
Ce que je ne savais, au cœur de cette histoire,
C’est que le Christ Jésus m’avait tant désiré,
Car pour nous Il mourut sans s’être parjuré,
Faisant du grand supplice ô bien plus qu’un déboire !
Plutôt que s’étourdir dans le manger, le boire,
Il redonne sa place à l’être déchiré :
Me voilà bienheureux, le Salut je l’aurai !
Le voici roi des juifs, comme sur l’écritoire !
Au moment où l’espoir, m’ouvrant tout grand les yeux,
Ne se perd en la nuit mais traverse les cieux,
Pareil ! Le Fils soumet le discours d’espérance !
Alors que le Dieu fort ne survient pour punir,
Vois le Maître sanglant transformant la souffrance
En affection vraie où l’on aime s’unir !
Trois janvier dix-neuf
Un jour je monterai
Seigneur de chaque temps, Le voici nécessaire :
Il redonne sa place à l’homme timoré,
Pour être serviteur du Sauveur adoré,
Parmi tous les ennuis, la peine et la misère !
C’est pourquoi très bientôt, oubliant l’adversaire,
Vers les cieux éternels un jour je monterai,
Etages par niveaux, marches après degré,
Faisant du grand amour un lien qu’on resserre !
Quel que soit le péché que vous ayez commis,
Le divin vigneron le considère omis,
Sans tricherie aucune ou désir de vengeance !
Ne t’inquiète pas, le seul Maître vivant,
Dessus les dieux muets, déclare à son engeance :
La bise du matin se brise sur l’auvent !
Quatre janvier dix-neuf
Que faire
Plein de confusion il avança quand même,
Regardant avec foi, semblable au combattant,
Les carrés aguerris au propos insultant,
Pauvre semblait l’azur et la nue était blême !
Que faire ? se dit-il, parler au Christ suprême ?
Pareil à ce chercheur bien souvent exaltant,
L’aura de l’Eternel en un mot sanglotant,
Mais ne perdrai-je pas la liberté que j’aime ?
Ou me faut-il encor chérir comme une sœur,
Ce prince du cosmos qui donne tout son cœur ?
Et par affection disparait, trentenaire !
Il se peut que l’élu perçoive quelque voix ;
O combien de croyants au pari millénaire
S’adressent chaque jour à leur Dieu plusieurs fois !
Sept janvier dix-neuf
Le vrai génie
Pour le quidam c’est sûr il n’est plus grand poète,
Qu’Arthur ou bien Victor aux jours de son exil
Qui traverse le mot comme on franchit le Nil,
O verbe impétueux qu’à l’envi l’on répète !
Vous êtes désormais pareils au gypaète,
Qu’un Charles Baudelaire imagine, dit-il,
Traîner piteusement son corps peu volatil,
Promenant sous les cieux sa verve insatisfaite !
Mais qu’importe leur nom ! Les vrais rayonnements
Se plaisent à sortir leur âme par moments,
Et non à s’exhiber sous le nom de génie !
L’héroïsme consiste à demeurer debout,
Pas d’affûter sa glose en guise d’harmonie :
En suivant ce seul trait vous parviendrez à tout !
Douze janvier dix-neuf
Combien ?
Combien de pleurs lascifs coulant de ta paupière,
Ai-je dû convertir aux matins de douleur ?
Quand tu crois que le monde ainsi qu’un enjôleur
Te pousse vers le roc aux arêtes de pierre !
De tes sens tourmentés te voici prisonnière ;
Sentirons-nous encor le parfum de la fleur ?
Pour un jour le pinacle et l’autre le malheur,
A la fin du périple irons-nous voir Saint-Pierre ?
O les cieux pleins d’espoir dégoulinant d’azur,
Inondant l’univers dans un geste si sûr :
L’aube se fait profonde à travers tout l’espace !
Et puis baisse le front, tu fuiras les barreaux ;
Il n’est de vrai répit dans ces lieux où tout passe,
Où se brise le vent aux accents fulguraux !
Dix-huit janvier dix-neuf
L'inoubliable geste
Toujours je reverrai l’inoubliable geste,
Du Fils donnant Son corps pour la rédemption,
De cet être divin plein de compassion,
O Christ crucifié sur un poteau funeste !
Je ne puis espérer un Sauveur plus modeste,
Du Royaume parlant, seule suggestion,
Comme un cadeau de vie aux airs de bastion,
Et du clou si vengeur qui désormais nous reste !
C’est certain il me faut rendre grâce à genoux,
Ce Maître bienveillant qui jadis vint vers nous,
Pour ôter de l’espoir le poison infertile !
Enfant rejette en bloc le doute où l’on dit : « non ! »
Car rien n’abolira le chaos qu’on empile,
Si ce n’est ce Seigneur connaissant notre nom !
Vingt-deux octobre dix-huit
Reflets
Parcourir terre et mer pour faire un prosélyte,
Voilà bien le propos malhonnête et pervers,
Du poète ignorant qui méprise le vers,
Voyant dans le prochain un possible acolyte !
Car toute vérité peut paraître insolite,
Au jour de l’apostat présentant le revers,
D’une foi chancelante abondant en travers,
Disputant la rigueur avec un monolithe !
De la religion émanent par moments,
Quelques reflets d’en-haut ou des rayonnements,
Mêlés de pleurs cruels en guise d’ignorance !
Or le discours du Christ éloigne la terreur :
Revenons donc à Lui pour combler d’espérance
Le fossé douloureux des jours teintés d’horreur !
Vingt-quatre octobre dix-huit
Marie-Madeleine
Marie, ô toi qui fus la plus belle des femmes,
Repose désormais aux pieds de ton Seigneur,
Devant le Maître aimé qui devint un Sauveur,
Par l’éclairage vif des univers infâmes !
Laisse donc ton sanglot se répandre en sésames ;
Car c’est, après celui de Christ le Serviteur,
Le secret du vouloir s’avançant constructeur,
Comme un vaisseau de paix qui briserait les lames !
Ne considère plus tes péchés répétés,
Amours étincelant de si noires clartés,
Et d’argent en renfort, exécrable nature !
Jusqu’à ces jours bénis, le sexe était ton roi,
Mais voilà que Venus, médiocre ouverture,
Maintenant reconnaît l’Amour d’en-haut pour loi !
Cinq novembre dix-hui
Le temps de l'enfance
Je revois par moments la maison de l’enfance,
Et les lieux de toujours que l’on foulait des pieds,
Quand le démon du jeu sous nos cris déployés,
Venait nous départir : c’était encor la France !
Dans le discours du sort pas un soupçon d’errance ;
Et vous sûtes nos noms mais parfois ennoyés,
Par l’ombre du schéol à jamais ennuyés,
Semblant souvent perdus dans notre déshérence !
Si c’est Dieu qui me parle aux tréfonds du ciel bleu,
Du paradis rêveur je tirerai le feu,
De tous ces tourbillons transformés en civières !
Alors que le vaisseau se réfugie au port,
Des méandres du temps j’aperçois les rivières,
Dont le flux ténébreux ô jamais ne s’endort !
Sept novembre dix-huit
Révolutions
Ô combien d’insensés ont brigué vos suffrages !
Tous ceux qui sans le voir, mourant sur un grabat,
Ravissent dans leur bagne un de ces cœurs qui bat,
Faisant du sort commun de merveilleux naufrages !
Mais, fils, n’entends-tu pas les formels déchiffrages ?
Que l’on sert en missel sans nul autre débat,
A travers les discours ponctués d’un vivat,
Pareils à ces ciments appelant des coffrages !
Soit ! Mais dis-moi prophète où se cache le vrai ?
Dans les plis du savoir ? Au joli mois de mai ?
Parmi le choc furtif des canons, des épées ?
Ah ! Ce bruit de fracas, de boulons dans les dents :
Depuis soixante-huit les forces sont frappées,
A grands coups de pavés et de gaz au-dedans !
Huit novembre dix-huit
Gouffres
J’ai vu dessus la tombe un noble chrysanthème,
Ceint d’un ruban azur auréolé d’espoir,
Pareil à ces enfants qu’on embrasse le soir,
Conférant à la fleur un puissant anathème !
Dans le vrai de l’Amour aucun n’est fort en thème,
Et nulle potion qui nous extrait du noir
Ne peut guérir la plaie au jour du décevoir,
Mis à part on le dit le formel épithème !
Mais il me faut déjà terminer le récit,
Et refermer les yeux quand l’astre s’obscurcit,
Considérer le deuil où le mourant pullule !
O vois les affligés cherchant le ciel divin,
Manifestations d’un esprit en cellule,
Qui pleure aussi souvent qu’il avale de vin !
Neuf novembre dix- huit
Rebellion
Pourquoi glorifier le moment de la guerre ?
Dit la gueule rompue au fougueux lieutenant,
Qui voit dans le conflit un bloc d’un seul tenant,
Asservissant l’humain par un instinct grégaire !
O l’aspect belliqueux que l’on voyait naguère,
Dans l’intrépide Anglais au faciès frissonnant,
Suivi par l’Allemand qui nous fait maintenant,
Ressentir le déluge ainsi qu’au temps vulgaire !
S’il arrive parfois que la désertion
Fait que l’on perd l’honneur dans la rébellion
Et brise le moral parfois avec colère,
C’est que pour tous ceux-là, plongés dans le tourment,
Cela parle bien sûr du fourgon cellulaire
Qui conduit en prison avant le jugement !
Onze novembre dix-huit
Le drapeau
Dehors il faisait froid, nous étions en décembre ;
Les trompettes de cuivre aux bouches des soldats,
Rendaient un son muet chez tous les candidats
Au décès ! On joua le vieil air de la Sambre !
Tous les corps mutilés que le canon démembre,
Au nom des dieux de guerre exerçant leurs mandats,
Boutent hors du pays l’esprit des concordats,
Faisant de l’agonie une dure antichambre !
Il est, dans la mitraille où se perd le remords,
De tous ceux déplorant le cadavre des morts,
Un formidable cri, la voix désespérée,
Des redresseurs de droits qui portent le chapeau
Des faucheurs de la vie à la mine effarée,
Au jour où le profit avilit le drapeau !
Douze novembre dix-huit
Le siècle futur
Me voici dépité par l’existence même ;
J’ai mis tous mes espoirs dans le siècle futur,
Cherchant dans l’au-delà le port d’attache sûr,
Que procure Jésus, Lui le Maître suprême !
Ne nous y trompons pas, le vrai se fait extrême,
Repoussant en Son Nom le verbiage obscur
Les moments d’euphorie où rien n’est jamais pur,
Déceptions d’un jour que le malheur écrème !
Cette dualité du juste et du Sauveur,
Incontestablement joue en notre faveur,
Et quoiqu’encor mortel me voici moins austère !
O puissants vous irez vers un rivage ombré,
Alors que désormais je ne pourrai me taire,
Moi l’être plébéien qui jadis a sombré !
Treize novembre dix-huit
La plus haute cime
Mais je ne savais pas, en venant dans ce monde,
Combien le sort est dur pour tous les chiens perdus,
Tous ceux dont le malheur, pour des motifs indus,
A transformé leur terre en une sphère blonde !
La camarde se plait, dans sa sinistre ronde,
A faucher sous les cieux, outre les corps tordus,
Des individus sains, comme des résidus,
Et ces désespérés que la souffrance émonde !
Ô frère, un dernier mot, du fond d’un entonnoir :
La misère en son cours toujours se laisse voir,
L’on part avec fracas vers le profond abîme !
Parmi les grands promis au déluge des eaux,
Certains prennent l’enfer pour la plus haute cime,
Et d’autres, soucieux, se partagent les os !
Quatorze novembre dix-huit
Révélation
Qu’adviendra-t-il, Seigneur, des éternelles choses ?
Du baiser à la bouche aux corps entremêlés,
A travers ces désirs qu’on aurait immolés ;
J’ai vu le Christ-Jésus dans un jardin de roses !
Mais les esprits fanés déjà s’en vont moroses,
Et les démons ardents, de gloire auréolés,
Se dressent sous les cieux, ô combien esseulés,
Rejetant le discours des plus habiles gloses !
Or le vent souffle encor sur nos cœurs appauvris,
Mais un beau jour de mai le Saint Livre j’ouvris,
Pour ne pas dépérir au-dedans des ténèbres !
O révélation que faire maintenant ?
J’entendais s’éloigner les infinis funèbres :
Le destin sur ma route arrivait rayonnant !
Seize novembre dix-huit
Le prodigieux et la tombe
O combien j’étais fou de croire en l’impossible
Amour ! D’une folie où l’autre semble roi,
Comme un récipient que l’on remplit d’effroi,
Servant de réservoir aux jours de l’indicible !
Je déclarai les maux comme on vise la cible,
Cherchant dedans la nue un exutoire au moi,
Lorsqu’on crée en son lit un identique soi,
Et que la vérité se fait incoercible !
Les autres sont un livre où se lit le profond,
Le parchemin qui dit ce qu’à jamais ils sont,
A coups d’illusions et d’ailes de colombe !
Avec l’esprit humain, que de cieux palpitants,
Et le prodigieux nous emmène à la tombe,
Ah ! Ces ultimes buts qu’on cherche en même temps !
Dix-sept novembre dix-huit
Qu'un migrant !
Je ne puis qu’immigrer, je n’ai pas une thune !
La guerre me chassa de mon endroit natal,
Et c’est la faim au corps qu’en un geste fatal,
Je traversais les mers en guise d’infortune !
O riche maladroit que le pauvre importune,
A toi qui restes coi dessus le piédestal,
Que procure l’aspect de vie occidental,
Pourquoi ne fais-tu pas cette épreuve opportune ?
Mais au port désiré j’arrivais bien trop tard :
Je recueillis du fils son tout dernier regard
Et son souffle si court, imprégnés de souffrance !
Et le voici donc mort, la camarde le prit,
Or ne serions nous plus dans ce pays de France,
Où le crime se fait, au profond de l’esprit !
Dix-neuf novembre dix-huit
Sans bas
Mais était-ce bien toi que j’ai vu tôt éclore,
Dessus la barricade en ce beau jour d’avril ;
Un leader s’exprimait, mais Dieu que disait-il ?
Fallait-il abolir la République encore ?
Pour les temps du passé, soit ! Oui plus jamais d’aurore !
La révolution n’est partie en exil,
Mais l’ordre se maintient sous un aspect subtil,
Dessus nos os blanchis par un jet de phosphore !
Certes que faisons-nous dans ce vaste univers,
Quoi d’autre qu’enfoncer des portails grands ouverts ?
Criant : « Ô liberté ! », comme une vengeresse !
Or cependant que dire à tous les esprits bas ?
Faire semblant d’ouïr cette colère épaisse,
Alors que dans le froid l’on chemine sans bas !
Vingt-et-un novembre dix-huit
Après Eden
J’ai vu le Christ Jésus au tout début du monde :
Il avait fait Eden puis tous les animaux,
Adam y demeurait sans éprouver de maux,
Jusqu’à ce qu’un serpent ne se transforme en sonde !
Celui-ci démontra que la terre était ronde,
En ce sens qu’il fallait du fruit de l’arbre aux mots
Pour goûter à présent sur les fonts baptismaux,
A cet état divin que l’esclavage émonde !
Quand le premier humain eut commis son péché,
Le Sauveur le jeta dans l’horizon bouché,
Que constitue un ciel ténébreux qui commence !
Ainsi l’homme arrogant au Seigneur Dieu déplut,
Sauf que, depuis la croix, a souri la clémence,
Puisque l’homme à nouveau peut saisir le salut !
Vingt-trois novembre dix-huit
La grâce et le diamant
Mais je ne sais pourquoi, dans son immense grâce,
Le Seigneur Dieu jeta son doux regard sur moi,
Ecartant à jamais le spectre de l’effroi,
Ne laissant subsister du vil péché la trace !
Mais dis-moi mon ami puis-je trouver la place,
Qui me revient, quoi donc ! Pour que je reste coi,
Surpris par ce Sauveur, le plus important roi,
Devant lequel toujours j’inclinerai ma face !
Ainsi que les mourants, je vois tout l’horizon,
Mais je ne puis savoir quelle est donc la saison,
Les maux de l’être humain avec un cri s’accrurent !
Les esprits s’en iront en un malheur charmant,
Emportés par le vent, voici qu’ils disparurent,
Et ce délire obscur fut comme un diamant !
Vingt-cinq novembre dix-huit
L'ange Michel
Je suis l’ange Michel, l’espace est mon royaume ;
J’ai longtemps voyagé par l’immense univers,
Des endroits les plus clos aux cieux les plus ouverts,
Pour dire le Vivant, ô puissant axiome !
Le rêve s’approcha comme un vaste idiome,
Les mots s’entrechoquaient, les concepts semblaient verts,
Et rien dans les propos ne sortait de travers :
Le Christ paraissait Dieu, pareil à ce binôme !
Mais qui donc a flétri cet amour éperdu ?
Ce sacrifice saint que Judas a vendu,
Préférant quelque argent à la belle harmonie !
Délivrer le Captif je ne le pouvais pas ;
Sur le champ du potier voilà l’ombre infinie,
De la croix du Seigneur qui se penche ici-bas !
Vingt-huit novembre dix-huit
Le fossé
Quoi ! Ce serait encor des projets bien moroses !
De la part de l’esprit dominé par la mort,
Celui qui fait de l’autre un authentique lord ;
Au fronton du néant, j’ai vu saigner les roses !
Redécouvre ce ciel dont bien sûr tu disposes,
Quand le discours aride éclate en saint transport,
Mais de salut il n’est pour l’être qui s’endort,
Et rien de plus lointain du bonheur que les gloses !
Avec les loups vengeurs tu parles de ta voix,
Invoquant le chaos, ce que tu veux parfois,
Ou bien alors vas-tu vers des conflits sans nombre ?
Et puis l’ancien des jours, le voilà renversé !
Parmi nos corps meurtris le chemin se fait sombre :
Qui donc viendra sur nous pour sauter le fossé ?
Huit décembre dix-huit
Le trépassé
Cependant rien de plus élégant et funèbre,
Qu’un cortège de morts enterrant un vivant,
Comme un fétu de paille emporté par le vent,
Qui trouverait refuge en la fosse célèbre !
Et si tu sens encor craquer une vertèbre,
Dedans le corbillard, prison dorénavant,
C’est que le trépassé songe au soleil levant,
Subtile équation relevant de l’algèbre !
Vois ce buste de fer sur des cuisses d’airain ;
Il n’en reste à présent qu’un cadavre serein,
Qui bien sûr ne peut lire au plus profond des mythes !
Me voilà reparti dans le secret des nuits,
Univers monstrueux où nul n’a de limites :
Ainsi qu’un démiurge, étincelant je suis !
Quatorze décembre dix-huit
Le père prodigue
Te voilà de retour : j’ai désiré cette heure,
Comme un père son fils parti dans le lointain,
Pour quelque mission, sans autre flux hautain,
Que celui de la croix sous laquelle Adam pleure !
Dans chacun de tes mots le vrai Salut affleure,
Chassant d’un seul regard le bonheur incertain,
Celui qui n’animait le bon samaritain,
Rempli de patience afin que nul ne meure !
Mourir à cet amour pour changer de tourment ?
Dans sa cage chaque homme expire lentement :
Non ! Le propos du Christ n’est porteur de limites !
Vois ce spectacle agraire et si près de Myrtil ;
Le sublime apparait bien au-delà des mythes
A travers son message, oui mais quel temps fait-il ?
Dix-neuf décembre dix-huit
Simagrées
O Seigneur, Tu le vois, je crie au Fils sans cesse !
Mais ce jour je ne puis discuter avec Toi,
Je dis la messe à l’heure ! Au dessus de la foi,
Le discours constitue une pâle sagesse !
O mon Dieu votre nom est une forteresse !
Sauf que le verbiage a grand attrait pour moi ;
Je crois à la pommade appliquée en l’émoi,
Ayant plus de vertu sur le jour de détresse !
Quand l’on parle aux bigots de leur pauvre destin,
Comment ils ont viré vers la foi ce matin,
Simagrée et mépris nous sont bien nécessaires !
Aux senteurs des jaloux je préfère les fleurs ;
Ah ! L’ombre de ces cœurs croulant sous les misères !
Maintenant leur regard se plait dans les douleurs !
Vingt-quatre décembre dix-huit
L'ombre du tombeau
Regarde-le rouvrir ses prunelles célestes,
Dans l’ombre du tombeau point d’animosité,
Juste un vivant transport, reflet d’éternité,
Les linges du Seigneur sont pareils à des restes !
O résurrection qui se fit par des gestes,
Délivrant nos esprits de cette cécité,
Qui tôt dissimulait l’immonde vanité,
Balayant d’un regard les jours passés funestes !
Vois l’été revêtu de splendides couleurs,
La nature en entier frémissant sous les fleurs ;
Je ne puis qu’investir les instants de l’enfance !
Protégé par la croix je m’en irai serein,
Fidèle à ce Sauveur présenté sans défense,
En dehors de l’archange à l’armure d’airain !
Trente-et-un décembre dix-huit
Un seul côté
N’entends-tu pas le vent s’agiter dans les feuilles
Des arbres près d’Hébron, les chênes de Mamré,
Qu’un Abraham occupe après avoir erré,
Ô fidèle de Dieu qu’un beau jour Tu recueilles !
T’approcher du Sauveur il faut que tu le veuilles,
Mais au jour opportun vers le Seigneur j’irai,
Pour qu’il change mon âme en un grand champ sacré,
Héritant du repos que toi-même tu cueilles !
Je doutais comme si, transcendé par le chant,
J’eusse été confondu par les larmes, cherchant
L’unique vérité pleine de certitude !
Nous ne voyons toujours qu’un côté de la croix ;
En guise de rachat je n’eus que solitude,
Avec le sentiment d’être un homme aux abois !
Trois janvier dix-neuf
Laisse les pleurs
Laisse les pleurs s’enfuir du haut de ma paupière !
Je ne crois ta pensée, il faut chercher encor,
Cette façon de voir ne sied à mon décor :
Ne vois-tu que ma larme est plus dure que pierre !
Mais au-dessus des eaux se meut une équipière ;
Entends venir le vent avec un bruit de cor,
Sur le brin herbacé qu’on nomme salicor,
Et qui sert de refuge à la traître taupière !
Notre champ d’action ressemble à ce brasier,
Faisant fondre un instant un monument d’acier,
Aussi bien dans le fond que dans l’hideuse forme !...
…Par-dessus notre bouche achoppa ce bâillon ;
Sous nos pieds chancelants, l’abîme était énorme
Et le gouffre étouffa ce si noir bataillon !
Six janvier dix-neuf
Notre vie
Notre vie est un livre où les pages froissées,
Recèlent nos parcours et les gens tels qu’ils sont,
L’un superficiel, l’autre bien plus profond,
Existences d’une heure ô combien cabossées !
Vois ces expressions pour le moins angoissées,
Qui sortent de la bouche en râlant sous leur front,
Comme on sent des guerriers ivres de ce qu’ils font,
D’illusions perclus qu’on dirait empoissées !
Voilà le cours du feu qui retient le regard,
Dévorant l’infini dans un brasier hagard,
Et quand tu dis « Allons ! », la langue parait sûre !
Nul ne peut enfoncer la porte à trois battants,
Ni le fier pont-levis quand il ferme à mesure,
Symboles ténébreux de la fuite du temps !
Dix janvier dix-neuf
Expiation
Je ne t’écouterai plus jamais davantage
Etaler le discours comme les gribouilleurs ;
Ton propos n’a de sens : mes avis sont meilleurs,
Il n’est de grand frisson pour les gens de mon âge !
Voici venir le vrai comme seul appointage,
Ah ! Me faut-il encor rechercher les ailleurs ?
Où nagent librement d’habiles rimailleurs,
Pareils à ces requins surveillant l’héritage !
Perçois dessous l’amour qui toujours nous unit,
Le fait de n’être pas ce que le saint bénit
Et que l’enfer promis dès maintenant commence !
Le mal souvent atteint l’homme trop inquiet
Et cela ne produit aucun trait de clémence,
Originel péché qu’un Adam expiait !
Dix-sept janvier dix-neuf
Par là !
Ne sens-tu pas vibrer les accents de la gloire ?
Quand le Père éternel se prend à revenir,
Effaçant d’un seul coup l’immense souvenir :
Je vois le Christ Jésus debout dans ma mémoire !
Le retour du Seigneur c’est la fin de l’Histoire,
A l’heure où Belzébuth ne peut que dégarnir
Ses rangs et son aura sans pouvoir Le bannir :
La vie a bien fini sa dimension noire !
Lorsque la nuit survint, un jour on l’exila,
Les Cieux les plus ardents doivent se chercher là !
Et bientôt le Salut Le grandit à mesure !
Puisque vous périssez à l’ombre de ce lieu,
Répondez à l’appel, voici la chose sûre,
Remettez votre esprit entre les mains de Dieu !
Dix-neuf janvier dix-neuf
Le doute
Il me faut avouer, aux abords de la tombe,
Que je doute parfois du gigantesque pas,
Que le Maître imprima sur ce qui n’était pas ;
Combien nous sommes nus lorsque le masque tombe !
Comme le vil corbeau se muant en colombe,
Et puisqu’il faut passer de la vie à trépas,
Jusqu’en ces lieux bénis où l’on prend le repas,
Parcourant du regard l’insolente hécatombe !
Qu’il est dur bien souvent d’obéir à sa voix ;
Serai-je délateur lorsque je mens parfois ?
Et cela nous conduit à la morne attitude !
Comprenons que souvent tous les mots de travers,
Ne font que nous figer parmi la solitude
De celui qui n’admet la puissance des vers !
Vingt janvier dix-neuf