Né pour écrire
Le prophète m’a dit : « es-tu né pour écrire ?
Mais si tu veux l’honneur et l’immortalité,
Comme ces flots amers qu’on adore en été,
Il te faut émouvoir d’un magistral sourire !
En accouchant de mots que nul ne peut proscrire,
Quand le verbe si dur se dérobe, indompté,
Au sanglot qu’on retient, plein de férocité,
Mouvement si profond, inapte à circonscrire ! »
Si tu crois au silence en guise de frisson,
Alors éteins le feu du bruyant horizon,
Et l’aube frémissante adviendra, surhumaine !
Vêtus d’habits de guerre, armés de grands flambeaux,
Vois tes frères de sang s’avancer dans la plaine,
Puis agiter leur glaive aux portes des tombeaux !
Quatorze mars dix-huit
La divine ouverture
Je n’avais confiance en l’humaine nature,
Mais au fil de mes ans, ayant l’autre pour loi,
Je vis que sa présence était celle d’un roi,
Cherchant en vain des Cieux la divine ouverture !
Epris sans un éclat de la beauté future,
De succès en échec j’ai ressenti l’effroi,
De vivre replié sur mon fantasque moi,
Sublime vérité qu’un mensonge capture !
Et bien sûr doucement je laissais le tourment,
Faire place au souci de l’éblouissement,
Comme un être qui part dans un éclat de rire !
Sous l’ombre du saint lieu je repris le flambeau,
Pareil au temps suprême impossible à proscrire,
Bienheureux de mon sort jusqu’au seuil du tombeau !
Vingt-quatre mars dix-huit
Jointures
Jamais je ne revis ma princesse d’un jour,
Jetée en un instant dans l’infernal exil,
Au fond d’un trou béant plein d’un gaz volatil,
Mais le temps assassin n’effaça son contour !
J’ai vu le saint Prophète au chevet de l’amour ;
« Le paradis, l’enfer, se rejoignent », dit-Il,
Pareils à des époux face au code civil,
Brûlots d’éternité s’embrasant tour à tour !
Mais mon œil pleure encor, sujet à son parfum,
Et dans l’aube des nuits l’on aperçoit quelqu’un,
Quiétude d’une heure où l’être humain proteste !
Parmi nos cris d’enfants, le bonheur incertain,
Voici le souvenir, gouffre comme le reste !
Il me faut désunir la femme et le destin !
Vingt-quatre mars dix-huit
Métamorphoses
L’effusion de sang apparaît bien sévère…
J’ai reçu du Seigneur le message annoncé,
C’est que le Père aimant autrefois courroucé,
Abandonne Son Fils sur le bois du calvaire !
Au sommet de la croix il n’est plus de trouvère ;
Te voilà bien soumis au fouet si cadencé,
Que le pharisien par le mal amorcé,
Approuve d’un regard, comme un pantin de verre !
Le corps crucifié, le voile qui se fend,
Vois se dresser l’amour pareil à cet enfant
Qu’on tient sur les genoux, l’âme jamais troublée !
Du cadavre gisant, paria de l’exil,
Je franchis vers le soir la si sombre vallée :
« Passons sur l’autre bord », alors s’écria-t-il !
Vingt-cinq mars dix-huit
Allume le futur
Allume le futur puisqu’il fait déjà sombre,
Car nous allons mourir ! « Mais jouissons ! », dit-il,
Sous forme d’exutoire au cœur de notre exil ;
Je jetais cette idée en sacrifice à l’ombre !
Des mots incandescents j’ai confondu le nombre,
Mais rien ne vient troubler ce bonheur volatil,
Où l’être se transforme en mérite civil,
Catacombes d’un jour qu’un faux serment encombre !
Du temps introverti les éternels affronts,
A l’heure où le mystique agonit de : « souffrons ! »,
Au lieu de simplement se retourner vers elle !
J’ai vu dedans l’azur le fantôme effrayant,
Des jours qui se défont au feu de ta prunelle,
Comme un aveugle né qui guérit en voyant !
Deux avril dix-huit
S'abandonner
Faut-il s’inquiéter au jour de la détresse ?
Quand un Ciel si muet se révèle attentif,
Un peu comme les flots caressant un récif,
Où ce navire fier sur sa poupe se dresse !
Non ! L’épreuve en son cours n’est jamais une ogresse,
Même pas au moment du valeureux poncif,
Qui mugit doucement, pareil au vent dans l’if,
Soumis à ce trou d’air que la déraison tresse !
Inévitablement tu penses à ton Dieu,
Lorsque s’ouvre en la nue un morceau d’un beau bleu,
Refuge sidéral de chaque créature !
Te voici maintenant au plus fort de l’ennui,
Mais avant d’enfourcher la divine monture,
Il te faut c’est certain t’abandonner à Lui !
Trois avril dix-huit
Jésus seul
Si tu ne veux plier l’échine comme un âne,
Sous le bât du chagrin, au plus fort du tourment,
Quand l’autre en son discours sur l’essentiel ment,
Alors n’épouse pas ce propos qui condamne !
Et si tu veux offrir la précieuse manne,
Que le Maître éternel dispense abondamment,
A tous les peuples juifs comme unique aliment,
Abandonne en ton cœur le diktat du profane !
De toutes les façons aspire à Jésus seul,
Surtout lorsque ton âme approche du linceul,
Du jour crépusculaire où l’on déverse l’urne !
O patrie en danger, république en morceaux !
Vision que l’on voit comme un rêve nocturne,
Il vous faut maintenant contenir les assauts !
Dix avril dix-huit
Ainsi ?
En sera-t-il ainsi jusqu’à la fin du monde ?
Le muet taciturne a bien peu de propos,
Et l’autre en sa noirceur ne trouve le repos,
Avatars d’un instant à l’éternelle ronde !
Je vois parmi les cieux une étoile si ronde,
Que couvrent les forêts et l’océan dispos,
Comme un habit de chair dessous les oripeaux,
Planète ensanglantée où le malheur abonde !
Un obscur firmament irise l’infini,
Pareil à l’assassin qui demeure impuni,
Immuable nuage au facies de poussière !
O les terrestres socs par la brume enrayés !
L’ange tient contre lui la formidable sphère :
Bientôt un ouragan se lève sous nos pieds !
Seize avril dix-huit
Le tourbillon des choses
Percevoir en la nue un tourbillon de choses :
Es-tu donc le Messie, engeance du Vivant,
Ou bien cet imposteur tributaire du vent ?
Dans l’aube du Salut et des instants moroses !
Dessous l’épine au front tendrement tu reposes,
Parcouru de ce cri qui demeure fervent,
Soumis à ce chaos qu’on sent dorénavant :
Te voilà couronné de crachats et de roses !
Vois le Père éternel qui, d’amour, s’enivra ;
Jusqu’au bout du destin le Maître s’en ira
Creuser de purs sillons, ô divine charrue !
Mais j’ai vu transparaître au plus profond du cœur,
Le verbe d’une idylle à jamais disparue,
Quand l’autre en son esprit se révèle moqueur !
Vingt-six avril dix-huit
Libération
Vois l’immense cadeau de ce Dieu qui nous aime :
S’en aller pour toujours au lieu de nulle part,
Voilà le seul propos qu’on reçoit au départ,
O l’étrange héritage en forme de soi-même !
Sur le mont Golgotha le matin se fait blême,
A l’endroit où le Fils a bâti ce rempart,
D’un corps tuméfié défiant la plupart,
Quand la femme au sanglot prend la croix pour emblème !
Mais qu’importe la mort ! Le flux est déjà pur,
Et l’on perçoit bientôt le ton bleu de l’azur,
Prendre possession d’un courroux qui se lève !
Ah ! Le temps du bonheur où le firmament rit ;
Dans ton dessein, ô roi, Tu nous sauves du glaive
Et le sang répandu libère notre esprit !
Vingt-huit avril dix-huit
Terre promise
A la fin de mes jours j’irai revoir ma mère,
Lorsque mon père ému m’embrassera le front,
Oubliant les rancoeurs et le charnel affront
De ces temps de jeunesse où tout semble éphémère !
O pleurs de récréance à la saveur amère,
Je vous vois accourir comme un jugement prompt,
Que des hommes de paix à jamais requerront
Contre tout être humain, incroyable chimère !
Mon esprit obscurci ne voyait que ses yeux,
Pensant que son aura venait tout droit des cieux :
Pour ma vie un Sauveur, pour le peuple un Moïse !
Au plus fort du paraître elle dit : « me voilà ! »
Mais je ne vis que Christ, sur la terre promise,
Puis au moment fixé mon amour chancela !
Trente avril dix-huit
Maranatha
Mais je ne sais pourquoi, dans cette immense histoire,
Il a fallu qu’un homme acceptât de mourir,
Et saigner aux poignets sans jamais coup férir :
Le cruel châtiment fut bien plus qu’un déboire !
O mort enchanteresse, où règne ta victoire ?
Tenant dans une main les armes du plaisir,
Et dans l’autre bien sûr le charme du périr,
Paraissant dans le ciel avec puissance et gloire !
Le voilà confondu, pareil au condamné,
Lorsqu’au dernier moment ce saint propos est né :
« Ah ! Les clous, les crachats sur Ma face divine ! »
Comme un heureux présage où le Sauveur jeta
Son destin en rançon pour notre âme en ruine,
Devant l’humanité Tu dis : « Maranatha ! »
Cinq mai dix-huit
Pus que . . .
Plus le Seigneur Jésus que le dieu de ce monde,
Mais pourquoi s’enquérir du grand Léviathan ?
Appelé Belzébuth ou même alors Satan,
Qui nous ferait douter que la terre est bien ronde !
Rappelle-toi toujours que cette bête immonde,
A laquelle tu dis : « Loin de nous, oui, va-t-en ! »
Se cache sous les traits d’un pieux charlatan,
Homme de paix charmeur marchant parfois sur l’onde !
Viendrait-Il en ce jour apaiser tes douleurs ?
Laissant en ton esprit le doux parfum des fleurs,
Quand l’ombre qui nous suit se dresse épouvantée !
O gisant sans contours qui se voile à demi,
La pierre de ton corps ne se veut agitée
Et la fuite du temps te révèle endormi !
Huit mai dix-huit
Enigme
Vois le Fils cheminer sur la crête de l’onde !
O l’intervention du Sauveur éternel,
Sous l’espace infini que l’on appelle Ciel,
Même au temps de Noé la terre était immonde !
Où disparait l’esprit lorsque l’océan gronde ?
Je ne vois désormais que ce crachin charnel,
Noyant tout l’horizon et la sphère de fiel
Si plate en son dessin et cependant bien ronde !
Solitude des jours qui se brûle à la voix,
Pareil à ce Daniel marchant dans la fournaise,
Victime d’un brasier qui nous étreint parfois !
Enigme au mot profond, évanescent et beau,
Avec des vêtements peu salis par la braise,
Tu marches lentement jusqu’au bord du tombeau !
Dix mai dix-huit
A moitié
Le premier qui s’exprime apparaît comme juste,
Vient la partie adverse et l’on ferraille encor,
Au bruit sourd des canons, au son perçant du cor,
Pareils à ces soldats à l’attitude auguste !
J’ai connu bien des gens à la glose si fruste,
Que rien ne paraissait perturber leur décor,
Même pas la douleur provenant de l’ichor,
Ce pus sanguinolent affectant tout le buste !
Mais dans l’adversité l’un se tourne vers Dieu,
Alors que dans l’horreur l’autre allume un grand feu ;
O le splendide cri de celui qu’on égorge !
Si dans nos hôpitaux l’on guérit à moitié,
Rien ne vient perturber le démon en sa forge,
Travaillant nuit et jour d’un geste sans pitié !
Seize mai dix-huit
En deux !
Nul ne peut espérer s’affranchir de l’écume,
Mais il est un Seigneur, parmi tous les enfants,
Face au trône duquel ils paraissent, vivants,
Comme la mer crachant une brume posthume !
Vois ces fleurs en boutons que l’orage consume !
Pour les lauriers du Ciel nous voici suppléants,
Bien empêtrés souvent dans des cris malséants,
Ces soupirs d’ici-bas débordant d’amertume !
O le remous subtil sorti de l’entonnoir !
Aspirant en son centre un tourbillon si noir,
Lorsque l’ombre se tait sous des vents de tempêtes !
Car la nuit s’épaissit, le sort devient hideux,
Incroyable destin suspendu sur nos têtes,
Qui malheureusement nous brise un jour en deux !
Vingt mai dix-huit
Fuir ?
Si pour fuir je me cache en la terre, aux entrailles
Profondes comme un gouffre où le vide est effroi,
Quand je compte explorer du vertige la loi,
Me voici retenu comme au vent les semailles !
Rien ! Pas même les cris des féroces batailles,
Ne saurait abolir la colère du roi,
Lorsque l’esprit du mal tourne en mauvaise foi,
Au jour de l’apostat qui ne montre de failles !
Ami, voici le jour qu’on retient désormais,
Celui dont les linceuls referment à jamais
Les obscures clartés, nous privant de défense !
Parmi les bruits affreux je cheminais serein,
Alors que dans le ciel j’ai revu mon enfance,
Ce bienheureux tombeau sous un masque d’airain !
Ving-six mai dix-huit
Que serais-je ?
Mais que serais-je donc si je n’étais moi-même ?
Une âme introvertie au faciès de martyr,
Cherchant dans l’au-delà le moyen de partir,
Mais Christ crucifié veut pour moi le suprême !
Depuis la nuit des temps tu proclames qu’Il m’aime !
Ce Dieu pantocrator que rien ne fait mentir,
Débordant de pardon au gré du repentir,
Comme un roi glorieux amoureux à l’extrême !
O le rire surfait assurément charnel,
Lorsque l’homme ne veut d’un salut éternel,
Celui qui nous conduit vers de hautes retraites !
Tu connaîtras alors les moments les meilleurs,
Préservant tes regards des amours indiscrètes :
Les déserts florissants ne commencent ailleurs !
Ving-neuf mai dix-huit
L'ultime soleil
Ô Seigneur tout-puissant habitant dans les nues,
Si loin de notre angoisse et du joug très subtil
Que chaque être ressent au plus fort de l’exil,
Toi qui vis au-delà des planètes connues,
Reçois l’hommage pur des personnes élues
Pour qui le Rédempteur s’est revêtu, dit-Il,
D’une apparence humaine en forme de pistil,
Comme le fait la rose aux senteurs absolues !
Mais d’aucuns ont fauté, tels des gens odieux,
Des peuples asservis, autoproclamés dieux,
Appartenant pourtant à la même muraille !
Dessous nos fronts éteints quelque rayon vermeil,
Ce formidable Fils que nul ange ne raille,
Avec dans le regard un ultime soleil !
Neuf mai vingt
Les oiseaux se sont tus
Devant le Dieu d’amour j’ai déféré mon âme :
Me voici bien parti vers un ciel incertain,
Préférais-je David au géant philistin ?
Je sais que l’horizon devint comme une flamme !
Et voilà qu’ici-bas le faux se fait infâme,
O le prochain retour que l’on disait lointain,
Mais n’as-tu confondu l’hysope avec le thym ?
Quand ton esprit médit du Sauveur qu’on diffame !
Les oiseaux se sont tus sur la Jérusalem,
Mais où donc est passé l’enfant de Bethléem ?
Nul cadavre au tombeau mais un corps en partance !
Le bon grain du mauvais sa parole tria,
Seule solution pour ce monde en errance :
Celui-ci voudra-t-il du plus grand paria ?
Cinq juin dix-huit
Un signe
O l’éternité peinte aux couleurs de nos armes :
Que j’aimerais te faire un signe de la main,
Comme un message fort ponctuant le chemin,
Percevoir du ciel bleu les amoureux vacarmes !
Contre l’aurore amène on versera des larmes,
Et tous deux réunis nous irons vers demain,
Nous fiant à jamais au vivant parchemin,
Sur lequel se défont nos pieuses alarmes !...
…Pourtant nous fûmes sots d’exalter le charnel,
Mépriser de ce fait le secours éternel,
Séduits par le pouvoir d’une belle conquête !
Alors que tristement le regard se perdait,
Devant l’adversité nous ne baissions la tête :
Dans la nue, attentif, un ange nous gardait !
Dix-sept juin dix-huit
Brouillards
Mais nous étions si las en ce matin d’automne :
Les portes de la mort prévalaient contre nous,
Quand l’aile bruissait d’un battement si doux,
Murmure d’agonie en l’atmosphère atone !
On voyait sur les flots cet azur qui détone,
Animés de l’ardeur où nous querellons tous,
Cherchant de l’un à l’autre un bonheur à genoux,
A travers le désir vibrant et monotone !
Si tu veux vivre heureux ne te mêle d’amour,
Comme un nuage gris qui n’aurait de contour,
Préférant le brouillard au tourment du naufrage !
Par un geste d’enfant j’ai pu convoquer Dieu ;
O ces moments de paix que l’amertume ombrage,
Lorsque la tombe enfin nous adjoint le seul Lieu !
Vingt-six juin dix-huit
Sacrifice
Je ne sais plus en qui j’ai mis mon espérance,
Est-ce en le Seigneur Dieu, plus qu’en l’homme pécheur ?
Qui revêt forme humaine et l’habit d’un prêcheur,
Mêlant les pleurs aux chants, singulière allégeance !
Du Fils crucifié les cris de déshérence,
Quand le soldat cruel se révèle cracheur,
Et le pharisien un vil dogmatiseur :
O le sang qui jaillit sans nulle déférence !
Au sortir du supplice un tombeau bien obscur,
Aussi noir qu’un soleil, sévère comme un mur :
Dans le corps du martyr le salut étincelle !
Combien le don de soi se montre si charmant ;
Voici venir le Christ invisible et fidèle,
Eclaboussant d’espoir l’intime diamant !
Deux juillet dix-huit
L'ennui
Le Fils est reparti pour venir dans son règne :
Jamais je n’ai rêvé d’un dénouement si beau,
Même lorsque mon âme approchait du tombeau,
Nouveauté d’un instant que l’Esprit Saint imprègne !
O la loi du Sauveur, que donc nul ne l’enfreigne !
Quand la règle d’amour brille comme un flambeau,
Disputant à la chair une vie en lambeau,
Que l’être humain connaît avant qu’il ne s’en plaigne !
J’ai vu la fin des temps où se répand le mal,
Pas forcément d’ailleurs le besoin animal,
Qui tourmente chacun jusqu’en son plus jeune âge !
Vois se dresser l’ennui, par le marasme atteint,
Car l’œuvre du Malin lentement se propage,
Enthousiasme d’un jour que la douleur éteint !
Six juillet dix-huit
Ne crains pas !
Face à l’accablement, quand je n’étais moi-même,
Tu me disais toujours : « Ne crains pas ! Crois encor ! »
Comme un trait de couleur seyant à mon décor,
Parfaite expression de ce Sauveur qui m’aime !
Je perçois du ciel noir le vibrant anathème,
Alors qu’un vent rageur aussi bruyant qu’un cor,
Soumet contre la glèbe un brin de salicor,
Cette plante herbacée à la teinte suprême !
La France a deux faciès, l’un récent, l’autre vieux,
Mais tous deux ressemblant à ce front pluvieux,
Que l’on voit dans la nue aux matins de tempête !
Devant le Fils joyeux, nul ne croise le fer,
Pareil à l’oremus qu’à présent l’on répète :
Voilà notre patrie arrachée à l’enfer !
Dix juillet dix-huit
Roses et épines
Jamais je n’ai vécu la profondeur des choses,
Même aux jours de tendresse où l’on donne la main,
A l’être qu’on chérit, pour aller vers demain,
O ces instants de feu que l’on ne veut moroses !
Je ne suis qu’un amant mais de moi tu disposes,
Par cette signature au bas d’un parchemin,
Quand les époux d’un soir poursuivant leur chemin,
Joignent leur passion au rouge vif des roses !
Or que deviendrons-nous quand tu vas de travers ?
Empreinte de torpeur et méprisant le vers :
Devant ce châtiment je ferme la paupière !
Et les mots semblent forts, pareils à ce tombeau,
Reliquaire éternel sous un écran de pierre :
Du lit accoutumé l’on ne voit le flambeau !
Douze juillet dix-huit
Fournaise
Jamais je n’ai rêvé d’un seul soupçon de gloire,
Même aux jours de combat où l’esprit exalté,
Déverse abondamment un air d’éternité,
Dessus nos os blanchis par l’ardente victoire !
La mitraille sifflait, la bataille était noire,
Alors qu’un pilonnage écrasa la cité :
L’agglomération à l’abord dévasté,
S’endormit sous le feu d’un geste ostentatoire !
Courbé sur son fusil le soldat expia,
Magnifique guerrier de couleur sépia,
Toute l’horreur du monde et cette mer de flamme !
Et l’ennemi si dur, ce monument de fer,
Ecrasé de douleur, abandonnant son âme,
Se consuma vivant, inexpugnable enfer !
Quatorze juillet dix-huit
A qui d’autre ?
La nuit succède au jour, l’ombre se fait charnelle ;
A qui d’autre irions-nous qu’à Toi, puissant Sauveur,
Quand les cris à la bouche augmentent la terreur :
Tu disposes des mots de la Vie éternelle !
O certes, compagnons, je ne vis que pour elle !
Mais le temps du partir me conduit à l’horreur
De quitter à jamais ces lieux avec un pleur,
Soumis à la raison de l’ire originelle !
Cependant il se peut que le Fils soit amour,
Il nous faudra quand même attendre notre tour,
Pour jouir du Repos qui n’est pas qu’une idée !
L’on cherche sciemment le trépas idéal,
Car supportant en vain l’image dégradée :
Qui sait si tu verras le prochain floréal ?
Dix-sept juillet dix-huit
Les pleurs de Marie
J’aurais voulu comprendre un étrange calvaire,
Où l’Etre interrompu se répand en secrets,
Sur l’homme né d’Adam, prisonnier de ses rets,
Engeance que le mal dans les larmes révère !
O Poète éternel, Te voici donc trouvère,
Quand le centurion suit Ton rictus de près,
Au jour où Tes enfants se révèlent, discrets,
Lorsque la croix se dresse, absolue et sévère !
Et le supplice vieux, où Ton corps est meurtri,
Opère avec ardeur une sorte de tri,
A l’heure où le tourment fait son œuvre en silence !
De l’agonie hideuse un regard, des rumeurs,
Alors que le trépas passe pour défaillance :
Vois les pleurs de Marie au moment où Tu meurs !
Vingt-trois mars dix-huit
Le manque d'amour
S’en aller pour toujours au pays de chimère,
Voilà ce que redit le chant intérieur,
Qu’on n’entend néanmoins qu’au matin du bonheur :
Sous les feux du couchant j’irai revoir ma mère !
Il fait jour à minuit et l’aube bien amère,
Dans le sang se prosterne au passage d’un pleur,
Ce qui confère au faux l’aspect supérieur
Où le chaos se joint au néant délétère !
Aurais-tu mal compris le pourquoi de ce jour,
Quand tu vas si confus vers un manque d’amour,
Dressant parmi l’absurde une ébauche de temples !
Plein d’introspection, tu péris, en sueurs,
Après avoir prié, la beauté tu contemples,
Ce qui donne la vie au plus fort des lueurs !
Vingt-quatre mars dix-huit
la jeunesse
Passe le temps commun et j’ai connu du monde,
La nature de l’homme au profond de son cœur,
Quand son corps triomphant le proclame vainqueur
Sur le cours du présent qu’un artifice émonde !
Dans ma soif de ciel bleu je revisitais l’onde,
Mais bientôt je compris que le printemps moqueur
Déroulait son récit comme un vain chroniqueur :
J’eu peur de ce futur où la colère gronde !
Je sus qu’à chaque instant l’abîme souverain
Produisait un métal si semblable à l’airain,
Crachant un feu d’enfer en guise d’anarchie !
Vous armez les canons et vous dites : « Tonnez ! »
Vois ces copeaux de fer dans ma barbe blanchie,
Mais la jeunesse n’est au visage qu’un nez !
Vingt-quatre mars dix-huit
Trop tard
Te voilà bien captif d’un sentiment rebelle
Et ton cœur amoureux ne prétend l’avouer,
Comme ces mots amers qu’on ne voudrait louer,
Mais pourquoi t’incliner toujours vers la plus belle ?
De son esprit lascif tu prends la citadelle,
Au temps de passion impossible à nouer,
Sauf dans cette misère où l’on doit se vouer
Aux anges accourus sur les rivages d’elle !
Les prières tantôt se collent au plafond,
Tantôt bouchent les creux que les injures font,
Imparable destin d’un froid qui nous pénètre !
Mais jusqu’au dernier cri l’improbable regard,
Si souvent transcendé par un appel à l’Etre :
Pour le festin de chair on arrive trop tard !
Deux avril dix-huit
La porte
« As-tu bien refermé derrière toi la Porte ? »
Mais de quel preux verrou s’agit-il ô Seigneur ?
Celui de délivrance ou le joug de la peur
Qui nous saisit, enfants, sous ce Ciel qu’on exhorte !
Je suis l’Eternel Dieu, ne crains pas de la sorte !
J’ai reçu de mon Père un trône de douleur,
Pareil à ce rocher d’où s’écoule un grand pleur ;
Depuis les temps anciens ma voix se fait plus forte !
Et sais-tu qu’on ne voit dans Mon lieu plus d’ennui,
Seul ce vent flamboyant qui proclame avec Lui :
« Viens simplement à Moi », comme un désir farouche !
Dans les jours de la fin, je reçois de l’azur,
Cette phrase bénie : « Souviens-toi de Ma bouche
A l’heure du tourment, car Mon royaume est sûr ! »
Deux avril dix-huit
Ouvre-moi !
Et s’en va le chemin aux accents de mystère ;
Abolir les discours ? Je le crois Seigneur Dieu !
En prônant la justice inhérente à ce lieu,
Provoquer sans regret le sursaut salutaire !
Les sanglots de la nuit, il m’aura fallu taire ;
Imperceptiblement le gris se mue en bleu,
Et sous les bois gelés on devine le feu,
Quand souffle l’aquilon sur un sol délétère !
O ce cri salvateur qui suscite l’amour,
Lorsque s’allume l’œil, embrasant tour à tour,
Le ciel de nos regards puis les corps en leur fête !
Dans les gouffres sans fin ton faciès ne me nuit ;
Je te reçois déjà, toi si douce et secrète :
Ouvre-moi s’il te plaît les verrous de la nuit !
Neuf avril dix-huit
Un coeur pur
Crée en nous un cœur pur et cette âme propice
A la joie, ô Jésus ! Pas le faciès bigot,
Ni le rire trompeur mais l’espoir en lingot ;
Eloigne notre esprit bien loin du précipice !
J’ai ressenti le faux du bonheur si factice,
De celui qui propose à tire-larigot,
Le verbe incestueux relevant du ragot,
Qu’un vent martèle ainsi pour que l’on aboutisse !
Pour l’un il faut verser jusqu’au bout notre sang,
Et l’autre conquérir ce grand corps qui descend
Vers le séjour des morts, par l’ultime démence !
D’aucuns invoquent Dieu, du moins pour un instant :
Après l’illusion le tourment recommence,
Un peu comme un enfer que l’on adore tant !
Onze avril dix-huit
Mystères
Lecteur rappelle-toi que sa joue était douce,
Offrant au monde entier en ces temps amoureux
Ce bonheur éternel que nous voulions à deux,
Lorsqu’alors, ingénus, nous jouions sur la mousse !
O le poids infernal des chaînes que l’on pousse,
Du désir en relief où l’on ne sent qu’un creux,
Comme un cri de tendresse au sanglot malheureux,
Pieuse injonction de ce futur qui tousse !
Mais aux fondamentaux il me faut revenir,
Quand un preux aquilon menace de punir
Le moment débridé si trompeur et fidèle !
Nous voici désormais bien plus morts que vivants,
Recherchant du ciel bleu la divine étincelle :
Quoi d’autre peut bannir ces mystères d’enfants ?
Vingt-et-un avril dix-huit
Pourquoi pleurer ?
Enfants, pourquoi pleurer au jour de la détresse ?
Quand plus rien ne paraît sauf le chagrin du soir,
Seule émanation où l’on se dit : « bonsoir ! »
Et tous les mots galants que l’affliction tresse !
Mais à la fin des jours la voix de Christ nous presse ;
Bienheureux sommes-nous lorsqu’on peut entrevoir,
Le Royaume du Fils étranger au savoir,
L’ombre se fait clémente et la nuit semble ivresse !
Car nul ne sait combien, dans son immense amour,
Le Père se livra sur la croix sans détour,
Par l’abandon de l’Homme au chant visionnaire !
Arpentant le Schéol, ce Dieu que nous aimons,
Après avoir fendu d’un grand coup de tonnerre
Le voile du saint lieu, Il brava les démons !
Vingt-sept avril dix-huit
Libre choix
Tu sens sur ta peau nue un doux parfum de roses,
Or au jour du tourment tu t’en vas fatigué,
Comme ce preux soldat qui ne trouve de gué :
Sur le fumier, ami, combien de belles gloses !
Dans ce gouffre qui n’est que le miroir des choses,
Le Père de lumière en mourant a légué,
Le don du libre choix, à jamais promulgué,
Mais tu crois aux penseurs dont pourtant tu disposes !
Seigneur de l’univers et Sauveur à la fois,
Vois ce corps pantelant accroché sur le bois,
Sauf qu’en Lui nul courroux, dans son œil qu’une envie !
Des abîmes ardents j’ai retrouvé le Dieu :
« A celui qui vaincra Je donnerai la Vie »,
Voilà le vrai propos en ce terrestre lieu !
Vingt-neuf avril dix-huit
Quadviendra-t-il ?
Combien j’aurais voulu, mon Seigneur, te connaître !
Or il me faut d’abord enterrer ce parent,
Que le Ciel m’a repris en un cri déchirant,
Et puis je ne comprends le comment du renaître !
Sous le soleil de Dieu les âmes je dois paître ;
J’ai bien souvent rêvé d’un destin transparent,
Pareil à ce héros plus ou moins délirant :
En attendant ce jour je ne puis que paraître !
Mais où donc est passé le paradis promis,
Le sursaut salvateur que dans le vrai Tu mis ?
Prophète d’Israël tout pénétré de joie !
O le trompeur discours qui nous guidait, lecteurs,
Paroles d’un instant où l’impudeur flamboie :
Qu’adviendra-t-il, Jésus, aux élus séducteurs ?
Premier mai dix-huit
L'ultime mouvement
Jamais on ne m’a dit : « Approche-toi du Maître ! »
Même aux jours de disette ou de grand flamboiement,
Quand on a de la peine à sortir du tourment,
Mais faut-il donc aller vers le pasteur, le prêtre ?
Il en est qui font fi du besoin de paraître,
Mais que répondre alors à l’augure qui ment,
Quand notre cœur ouvert si démesurément
Ne peut que contenir les assauts du mal-être !
Seul Son regard de feu pourra te consoler ;
Vers ce Père si doux ô vois-Le s’envoler,
Porté par le courant de l’éternel espace !
Voilà sur l’horizon le salut qui descend,
Ultime mouvement dans un siècle où tout passe,
Mais au côté percé j’ai vu monter le Sang !
Sept mai dix-huit
Vivant et mort
Si dans l’adversité point n’est besoin de larmes
Et bien garde en ton cœur le mot du Tout-Puissant,
Qui déclare à jamais : « Je suis compatissant ! »
Bannissant d’un frisson le cortège des armes !
Vois paraître en le ciel les pieuses alarmes :
Il te faut effacer ce que le sort pressent,
L’éternité de plomb à l’espoir vieillissant,
Et taire de l’enfer les incessants vacarmes !
Se proclamer vivant et mort tout à la fois,
Comme cet homme ancien qui parle avec Sa voix ;
Il n’est rien de plus beau que ce qui n’a de terme !
Le voici qui retient l’âme des trépassés,
Alors que son propos se fait toujours plus ferme :
O les esprits pécheurs du Paradis chassés !
Neuf mai dix-huit
Le visage du Maître
J’aperçois dans le ciel le visage du Maître :
Ses yeux sont si profonds que j’y vois mon péché,
Pas le discours bigot mais le mot recherché,
Eloigné s’il se peut du besoin de paraître !
O le propos trompeur de l’apostat, du reître !
Quand le peuple salue un prophète attaché,
A son propre intérêt, sur sa cause penché,
Défi de tous les temps qui se passe de prêtre !
Au dessus de mon lit je n’ai mis ton portrait,
Et cependant je crois au Seigneur qui pleurait,
Comme saisi d’effroi car dans les bras d’un autre !
Mais on le sent pressé sur une croix, debout,
Cependant que l’impie en la bourbe se vautre,
Au milieu d’un tourment qui veut transcender tout !
Douze mai dix-huit
L'île lointaine
Je m’en irai bientôt vers une île lointaine,
Comme ce frêle esquif malmené par le flot,
Aux accents d’aquilon et du fier matelot,
O Seigneur éternel sois-en le capitaine !
Vois la mer en furie, arrogante et hautaine ;
De la cinglante écume on perçoit le sanglot,
Lorsque l’abîme entier, investi d’un brûlot,
Se fond en un torrent à la houle incertaine !
Marins de tous les bords qui ne sont revenus,
Vos faciès sous les cieux s’estompent, méconnus,
Bataillons bien obscurs d’un océan sans bornes !
Or dans les soirs d’hiver leur souvenir s’accroît !
Naguère pleins d’orgueil, ils finissent si mornes,
Mais quand la mort arrive on se fie au noroît !
Dix-sept mai dix-huit
L’aube du saint lieu
Fut-ce en cette existence, était-ce dans une autre ?
Je ne sais ! Ce qui meurt appartient au passé,
Comme un signe de croix au front du trépassé,
A l’heure du péché de l’homme qui s’y vautre !
Mais au creux du chaos, évidemment le nôtre,
Le Seigneur tout-puissant pour un temps abaissé,
Prend la forme d’un corps par les clous oppressé,
Amour vraiment divin qui fait de Christ l’apôtre !
O le regard du Ciel à l’espoir amoureux,
Jamais dans mon parcours je ne vécus heureux,
Poussière d’au-delà qu’un charnel soleil dore !
De l’aube du saint lieu approchez-vous enfants !
Car après le brouillard soudain j’ai vu l’aurore :
Revoici les rayons pour toujours réchauffants !
Ving-cinq mai dix-huit
Vie éternelle
O la vie éternelle, estimable, féconde,
Qui ne ressemble en rien au propos désuni,
Porté par cette joie où l’on se sent béni,
Chassant la bête humaine et son cortège immonde !
Ami, ne perçois-tu ce murmure qui gronde ?
L’homme ressasse en vain sa faute à l’infini,
Lorsque l’obsession aboutit au déni,
Et que le corps tournoie en formant une ronde !
L’être humain cependant se fie à ce portrait,
Celui des êtres chers que jadis on pleurait,
Flambeau du souvenir qu’on se transmet l’un l’autre !
Loin de moi désormais les mots combien retors,
J’ai quitté mon discours, ô Seigneur, pour le vôtre !
Mais l’esprit inquiet ne peut lâcher le corps !
Ving-sept mai dix-huit
Suffisance
’aurais aimé partir jusqu’au bout de moi-même,
Un mal insidieux m’a submergé d’effroi,
De mon propre combat je n’étais plus le roi,
Infatué de nous plus que du Christ suprême !
A chercher le parfait on s’en va vers l’extrême,
Celui qui nous invite à minorer l’octroi,
De ce quidam qui veut dire son désarroi,
Partager simplement son charnel théorème !
As-tu réalisé que tu triomphes seul,
Quand tu roules ton frère en un méchant linceul,
Mais demande pardon si tu rabats sa joie !
O le déni commun que ton âme produit :
L’esprit supérieur fait de l’autre une proie,
Lorsque ta suffisance à l’exil le conduit !
Premier juin dix-huit
Forteresses
Les délires communs sont cette forteresse,
Que le faux édifie au temps du rêve noir,
Comme la brume noie un ténébreux manoir,
Quand le ciel éthéré se pare de détresse !
Sens le cri vespéral d’une aube vengeresse,
Lorsque le vent d’autan pareil au laminoir,
Crève le cumulus flanqué d’un entonnoir,
O du flux déchaîné l’énergique caresse !
Mais sur les blés en feu l’eau s’écoule bien tard,
Le faucheur averti voit son dernier regard,
Se poser sur un chaume en ordre de broussaille !
Et tout semble infirmer la récolte aujourd’hui,
Jusqu’au moissonneur qui dans son âme tressaille :
Le fruit de son labeur sur le champ s’est enfui !
Trois juin dix-huit
Seul
Est-ce dans cette vie ou bien alors dans l’autre ?
Que je t’ai rencontrée au plus fort de juillet,
Tu marchais dans la rue en un pas inquiet :
De ce rêve incarné je devins un apôtre !
Mais comment discerner le blé doux de l’épeautre ?
Quand sur ton pur faciès le vil temps expiait
Ces instants de disette où l’amour nous fuyait,
Triste émanation d’un ciel qu’on croyait nôtre !
Etrange, assurément, la plus belle sais-tu ?
Devant nos feux secrets l’un parle de vertu,
Et l’autre renchérit : « le désir vous transforme ! »
Nous semblions tous deux éloignés du linceul,
Rapprochés cependant par un baiser énorme,
Mais au temps du bilan ô combien j’étais seul !
Six juin dix-huit
L'armure
Au lever j’aperçus le Fils dans les nuées,
Mais les gouttes de pluie à mes yeux grands ouverts,
Faisaient comme un rideau contre des cieux bien verts,
Les colonnes d’azur paraissant obstruées !
O sentir du destin les voix atténuées :
J’entendis : « Viens par là ! » c’était l’autre univers !
Matelot souviens-toi des intraitables mers,
Quand les lunes de miel s’en vont exténuées !
Pareil à des enfants vêtus d’habits d’airain,
Vois déjà s’avancer le peuple souverain,
Qui n’a pour seul défaut que de vouloir paraître !
J’ai dérivé longtemps par des vents inconnus ;
Le rêve nous conduit et le mal nous pénètre :
Sous l’armure idéelle on sent les esprits nus !
Vingt-cinq juin dix-huit
L'inexpugnable octroi
A l’aurore des yeux ô je ne puis prétendre,
Car un étrange mal a vu le jour en moi,
De mon être inquiet je ne suis plus le roi,
Et le corps affaibli craint de partir en cendre !
Comme un oiseau d’airain tu t’en vas douce et tendre ;
Ah !combien je voudrais t’aimer jusqu’à l’effroi,
Toi qui fus de mon temps l’inexpugnable octroi,
Mais qui vraiment es-tu ? « Je ne sais », dit Cassandre !
Sens monter le diktat du fait religieux !
Insufflant la psychose au plus profond des cieux,
Aussi loin qu’il se peut, parmi la terre entière !
Voici venir ce Fils qui comble notre faim,
Tel le pain, de rigueur dedans la panetière :
L’un s’exclame : « déjà ? », l’autre déclare : « enfin ! »
Vingt-huit juin dix-huit
N’as-tu pas un Seigneur ?
Alors que je dormais sous les verts térébinthes,
Le Prophète cria : « N’as-tu pas un Seigneur ? »
Comme un petit enfant pareil à ce baigneur,
Qui laisse dans la mer la plupart de ses craintes !
Vois se perpétuer les étroits labyrinthes,
Où l’être humain se mue en vil égratigneur,
Parmi ceux de sa race, avec cet air gagneur,
Percevant du chaos les charnelles empreintes !
Ami, ne te conforme au siècle qui sourit,
Car un beau jour de mai le désespoir te prit,
Quand tu cherchais en vain le mystique passage !
On ne se souvient plus que du feu sur nos pas !
Baptême de douleur où chacun devient sage :
Pour l’un il faut agir, l’autre abonde en ne pas !
Trois juillet dix-huit
Guerres
Voici les soldats prêts pour l’ultime démence :
Dessous un ciel amer les armes sont en mains,
C’est une tyrannie à visages humains
Que le fusil engendre au mépris du silence !
Déjà le feu défie une frêle existence ;
Vois éclater l’obus et jusqu’aux lendemains,
Le canon sur la chair, après les baisemains,
Propage, encor fumant, l’immuable sentence !
Et des morts en sursis les gaz piquent les yeux,
Dernière expression d’un enfer si joyeux,
Où l’homme, en rang serré, descend tout comme un fauve !
Parmi les hommes preux, des drapeaux en linceuls :
O les esprits hagards que l’oraison ne sauve,
Unis dans le tourment, sous la mitraille seuls !
Neuf juillet dix-huit
Destins
Plutôt que d’en vouloir à la planète entière,
Recommande ton sort au Seigneur éternel,
Qui te proposera de demeurer au Ciel,
Eloignant ton esprit de la pensée altière !
Et puis si tu veux fuir l’obsédant cimetière,
Qui tenaille ton âme ainsi qu’un mal cruel,
Il te faut c’est certain retrouver l’essentiel,
Cet Eden primitif où se perd la frontière !
Se reposer le jour, cheminer dans la nuit,
Sous un soleil de sang si lentement détruit,
Voilà le seul propos qui ne part en fumée !
Alors épouvantés, on allait en haillons ;
Au chant des nations j’ai vu grossir l’armée :
Puissions-nous vivre en paix malgré les bataillons !
Onze juillet dix-huit
Les crève-coeurs
Mais après la victoire advinrent les défaites,
Et pourtant tu redis : « mon ami, haut les cœurs ! »
Des aléas du sort sortirons-nous vainqueurs ?
Paisible expression des lendemains de fêtes !
« Prions en chaque temps », déclarent les prophètes :
Avalerons-nous donc de puissantes liqueurs ?
Jusqu’à toucher les cieux comme ces crève-cœurs
Qu’on élabore en vain, ô visions surfaites !
Sur le fronton pointu se fracassent nos voix,
Vaine péroraison et sublime à la fois,
Quand l’exorde agonise au sortir du mystère !
Me voici rattrapé par quelques faux semblants,
Sous le blême aquilon j’ai cheminé sur terre,
Même aux jours de bonheur où l’on s’en va tremblants !
Douze juillet dix-huit
Si . . .
Si nous parlions d’amour, voilà comme il se nomme !
L’une dit : « je te veux ! », ô je crois qu’elle ment !
L’autre bredouille un mot aussi confusément,
Que le ciel se balance ainsi qu’un métronome !
Voici ce désespoir, un pataquès en somme,
Car il ne sert à rien de connaître comment,
L’on jouit à coup sûr sans un assentiment,
Pareils aux traits de loi du grand deutéronome !
Ah ! revivre au foyer ces soirs que nous aimons,
Quand le cours du soleil s’incline vers les monts,
Calme création de splendeur et de flamme !
L’on n’entend plus gémir le monstre souverain
Sous les arbres bien verts je promène mon âme,
Car la cendre des yeux n’est soumise à l’airain !
Seize juillet dix-huit