Epopée ordinaire
Je revois bien souvent l’épopée ordinaire
Des amoureux transis s’embrassant dans le froid
Parfois, pour exister, le cœur en désarroi
Comme on rit au mot « pleur » dans leur abécédaire !
Mais il me sied aussi de vivre débonnaire
Assouvir mes désirs ? Il m’en faudrait l’émoi !
Ah ! Qu’il est dur pour nous de vivre l’autrefois !
Et pour le temps présent d’avancer solitaire.
Dedans mes ciels laiteux laisse-moi si tu veux !
Mais apaise mon âme au-delà des aveux
Pareils à ces oiseaux dispersés par l’écume.
Nul ne peut triompher par quelque geste vain
Quand les courants rageurs qui s’exhalent en brume
Se parent de lumière aux portes du divin !
Terre d’automne
Je sens l’été s’éteindre, indicible mystère :
Que reste-t-il ma sœur lorsque l’on fait le tour
Des labours du déclin aux moissons de l’amour :
O la charnelle glèbe, affleurant, salutaire !
Car au doux bruit des socs la terre réfractaire
Voit son front se rider par la lame en retour
Comme au couteau le pain sous la voûte du four
Ce murmure du fer que nul ne saurait taire !
Par la croix inspiré je peux le geste sûr
Pas de paix, nul repos, je veux tout de l’azur
Il me faut triompher sur les vents de l’automne !
Tout paraît lumineux quand l’esprit inquiet
Aux accents étouffés d’un refrain monotone
Vient affermir ses cris au plus fort de juillet.
Ovalie
Sur le sport se bâtit le fondement d’un temple,
Au pays du dicton “to be why not to be?”
Où Webb Ellis créa ce beau jeu de rugby,
Que le ballon ovale augure d’un exemple.
C’est la lutte acharnée où l’autre ne contemple,
Un élan de contact qui se veut un hobby :
Le public applaudit l’équipe en son habit
Courant sous des traits forts, d’une façon très ample.
Le bruit d’un peuple entier devient preuve d’amours.
Dans la boue et la pluie, au son de grands tambours,
Vous vous battez devant des foules innombrables !
Les cris des nations s’élèvent, éternels.
Vous adorez la force, ô combattants plaquables
Honneur aux laboureurs de ces sillons charnels !
Manon des larmes
Ne prends pas peur, Manon, je ne suis qu’une vie.
La rose du matin s’effeuille vers le soir ;
Je déclare aujourd’hui : « ne dis pas « au revoir ! » »
De mon repas secret te voilà desservie !
Et si tu veux encor m’assombrir de grands pleurs,
Répéter que tout passe aux lueurs de l’automne,
Que la pluie et le vent font tomber la couronne
Du temps : rappelle-toi de mes deuils et douleurs !
Sens-tu déjà le vent agiter la ramure ?
Hurlant que nos instants jaillissent comme un feu
Placé sous l’étouffoir en un dernier aveu !
O les blés déchirés par l’ivraie immature !
Les beaux jours sont partis ; je pense à toi Manon,
C’est toi que j’ai voulue, ô l’œil rempli de larmes,
C’est toujours toi venant apaiser mes alarmes
Mais à présent il faut que l’on murmure : « non ! »
Le sentiment suprême
Nos regards se croisant ta joue apparaît blême
En ce temps de pardon aucun rire moqueur
Pas de pleur en le ciel pas la moindre rancœur
Il convient d’assumer le sentiment suprême.
Je ne sais cependant si c’est bien toi que j’aime
Quand le petit matin me proclame vainqueur
Les eaux de ton jardin se changeant en liqueur
O qu’il fait bon mourir sur une autre moi-même !
Inépuisable hymen connais-tu le partir ?
Crois-tu que pour périr j’ai besoin de sentir
Ce spectacle odorant où l’âme se parfume ?
Des glorieux instants nul ne voit le moment
Pareil à ce lever d’un soleil qui s’embrume
Je ne puis que te dire : « aimons-nous tendrement ! »
Amour amer
Il ne me convient plus de proclamer : « je t’aime ! »
Mon amie il nous faut reconnaître l’amer
Ce caprice du soir où l’eau se change en mer
Je ne puis t’asservir par un discours suprême !
Et le temps te poursuit comme un autre moi-même
Sur le flux de mon sang un valeureux steamer
Que les courants, le vent, au gré de l’outre-mer
Agitent sous les cieux par le fait du blasphème.
Impossibles baisers, admirables accents
Quand une larme point en nos yeux languissants
Comme une note perle au doigt du guitariste.
Heure prends dans mon cœur l’incroyable serment
Pareil à cette voix intemporelle et triste
Qui fait de nous parjure et qui jamais ne ment.
Epopée absolue
Combattant acharné ton accent authentique
Fait de toi ce guerrier et conduit au trépas
Ressens-tu désormais l’aiguillon sur ton pas ?
Nous voici réunis par un joug fantastique !
Pas d’énigme en la nuit sauf quand on nous explique
La danse des flots noirs écumant en : « ne pas !... »
L’incroyable portrait d’un Jésus au Repas,
La poupe d’une barque au destin pathétique !
Face aux défis sans fin, contre tant de malheur
Dans les pleurs et les cris je n’aurai pour labeur
Que d’oublier un peu le temps de ma vieillesse !
Du mal écartons-nous car à jamais il ment !
Mais l’esprit bienveillant je voudrais qu’il renaisse
Ayant besoin de Lui par delà le tourment !
La forêt de croix
Paisible reposoir sur le chemin des ciels
O la longue pensée ! Ode très inspirée
Que de vivants sursis, désirs immatériels,
Sont proférés là-bas dans cette allée ombrée !
Sous le regard savant de quelques indigènes
Les croix de loin en loin brillent en leur écrin
O regards ! O tombeaux ! Imperceptibles gênes
La mort s’en vient grimer le pas du pèlerin !
Au fond de maints passants demeurent assombris
Quelle paix en ce lieu, quelle paix en la tombe !
Pas encor de tourment pour les dignes esprits
Quand l’univers se tait au chant de la colombe !
Le mort en sa maison ne peut crier « Montjoie ! »
Le fruit de son vouloir se perd au firmament
Splendide corps brisé par l’impossible joie
Dans un faciès osseux son œil jamais ne ment !
Les fleurs du bien
Au plus fort du courroux j’ai dit dans ma colère
Jamais plus je n’irai sans souci de repos
Obstiné, l’œil vengeur, avec ce vain propos
Quand le vaisseau de paix se transforme en galère !
Voici que désormais je survis pour Lui plaire
Inaboli Sauveur au sourire dispos,
Pareil à l’écrivain en son avant-propos
Taillant dans Golgotha cette pierre angulaire.
Parmi les fleurs du bien ô le divin troupeau !
Aux lieux où se dressa jadis plus d’un drapeau
Le sang se fait pressant et le chemin s’élève.
Là s’en vont les désirs et l’être se morfond.
J’ai vu Son corps fléchir sous l’impossible rêve :
En sera-t-il ainsi ce soir au plus profond ?
La romance éternelle
Sait-elle du salut la romance éternelle ?
Cette femme aux yeux clairs qu’un lumineux esprit
Transporte sous la nue où le séraphin rit
Je vois couler du Ciel la grâce intemporelle !
S’il me faut un baiser bien sûr je le veux d’elle
O cette pâmoison érigée en un cri !
Implorant comme un Dieu tout de grâce pétri
Alors que l’océan, de mes yeux nus, ruisselle !
Qu’elle meure à mes pieds au meilleur du printemps !
Quand on croit que l’amour peut survivre longtemps
Laissez-la s’approcher tel un astre sublime !
Voici que sur les eaux apparaît un grand trou
C’est l’endroit où le vent nous baptise en l’abîme
Et rafraîchit notre âme à l’instant du courroux !
Le mouvement et l’être
Puisque tu vis souffrant et pour un millénaire
Recommande ton sort au Seigneur Eternel
Qui délivre au-delà du mal-être charnel
Pour un temps le silence, à l’autre le tonnerre !
As-tu donc oublié ce Sauveur débonnaire ?
Qui reçoit sur la croix l’aveu d’un criminel
Implorant de l’Eden le Maître originel,
Lui qui fait du Salut un festin ordinaire !
Pour engendrer l’écume il te faut un récif
Les jours s’en vont, ami, te voilà bien pensif !
D’un Christ agonisant peux-tu déjà renaître ?
Car je vois du Chaos surgir quelque géant,
Le faire, le vouloir, le mouvement et l’être
Et les ombres du mal retourner au néant !
Autrement
Croyants et mécréants, tels des lutteurs antiques,
Ont parcouru le temps, témoins du même Ciel,
Comme un vent débridé se voulant éternel,
Avec le regard vif sur des corps athlétiques.
C’est le moment propice aux extases mystiques
Le rêve devient loi quand au cœur du réel
Les labours de l’esprit se défont du charnel
Pauvre et riche liés sous des jougs identiques !
Ainsi s’en va la vie au meilleur des saisons
Il est donné parfois d’en savoir les raisons
De s’aimer simplement en dehors du mensonge.
Des lauriers d’Olympie il ne faut le souci
Accomplir chaque jour ce désir qui nous ronge
Voilà le seul labeur, je ne peux que ceci !
Au-delà
Je ne pourrai t’aimer au- delà des idées
Même si tout le jour c’est bien toi mon secours
Au paradis du verbe il n’est d’autre discours
Que le chant envoûtant des amours débridées.
A l’horizon des sens je vois des orchidées
Ces fleurs dont le parfum vaut mieux qu’un seul recours
Et dont il faut user sans en perdre le cours
Les filles du malin s’enivrant, dénudées.
Laissons donc sur l’autel nos visages soucieux
Partout où le remords s’élève jusqu’aux cieux
Excroissance de chair par l’automne bannie.
Nous allions périr et chacun le comprit
Oui chassons désormais du corps la tyrannie
Quand le commun des jours s’exhale en un esprit !
Odyssée
L’homme est ainsi conçu, il se croit le plus fort,
Quand il pense être dur, il n’est jamais que nu,
Le temps de se chercher il a déjà connu
Que le cours de la vie l’a laissé ingénu
Même par son orgueil dans lequel se retrouve,
Quelque chose d’intraitable !
Mon cri sera un chant, grande décision,
Mais peut-on s’obscurcir en taisant son génie ?
Mon projet s’est éteint, ô brûlante agonie,
Je vois au loin encor un spectre qui dénie
Mon désespoir cruel dans lequel se retrouve,
Quelque chose d’ineffable !
L’existence est sanglot, timonier erratique,
Comme un oiseau perdu je cherche mon chemin,
Je promène mon foc tel un vieux parchemin
Mais qui suis-je, ô mon Dieu, le fantasque gamin
Qui va vers son destin dans lequel se retrouve,
Quelque chose d’intenable !
Morituri
Aucune ride au front ne dément son jeune âge
L’agonie est un long et langoureux divorce
De l’enfance à la mort toujours elle s’efforce
De séparer les uns, de rendre la vie morne
Combien s’en sont allés par la belle épouvante ?
Dans les jours du départ, personne ne se vante !
Le mal ensevelit et le projet suborne.
Le temps qui mène à fin est un cruel voyage
De son pas peu pressé conduit à l’hivernage
Le corps brûle ou pourrit, quant à l’esprit de même ?
Où sont passés nos morts devant qui l’on s’incline ?
Qui roulaient dans la nuit en leur sombre berline
Jamais, au grand jamais, le trépas on ne sème !
Ils ne reviendront pas tous les gens trop pressés
De courir à la mort en oubliant d’aimer
Le grand trou du néant sera leur horizon
Heureux ils sont partis sur de beaux océans
Mais ils ont chaviré sous des flots envoûtants
En esquissant toujours la même pâmoison !
L’un est devenu fou, les autres ont choisi
Le poison de l’argent. Fumants comme un brûlis
Ils apprendront ainsi que le siècle consume !
Connaissez-vous la fin, en savez-vous le jour
Où seul le papillon viendra pour un bonjour ?
Dès maintenant songez que le malheur s’assume !
Et nul ne peut clamer où son âme sera !
Seul le discours du vrai désormais le dira,
L’heure vous ignorez, si déroutante en somme,
Le mal tragiquement emporte sans vergogne !
Déjà le preux faciès peu à peu se renfrogne
L’instant ne se vit pas comme un pieux métronome !
Temps Nouveaux
Où s’en va le courant de fiel et d’amertume
Bondissant dans sa course au gré des rochers verts ?
Montagnes et vallons de larmes recouverts,
Tristesse de la chair à qui l’on s’accoutume.
Veuillez des fraîches eaux apprivoiser l’écume !
Quand un ruisseau nouveau sur les prés entrouverts
Se plaît à célébrer le chant de l’univers.
La nature, au printemps, revêt son seul costume.
Vent plaintif de l’automne accrochant au buisson
Une parure d’or pareille à la moisson,
Immensité de l’air qui submerge la plaine.
Le torrent de son lit, le zéphyr en l’azur,
Débordent quelquefois comme une coupe pleine.
L’espace les reçoit avec un geste pur !
Le verbe est ma patrie
Le verbe est ma patrie aux jours de l’espérance
Même au temps de tristesse où l’être se fait vil
Pareil à ce flacon de parfum volatil
Qu’une larme de sang baptise en la souffrance.
Pour braver les enfers il me faut l’innocence
Et je n’ai pour seul feu que l’humour d’un Bourvil
Comédien subtil au mérite civil
Quand il dit sans détour « ma bien-aimée ô France ! »
Quant au sort d’Isaac ? Ce sacrifice-là !
Lui le Fils de toujours que le Père accabla
Jusqu’à lever le bras sur la jeune victime.
Le Maître a décidé, l’homme défait l’autel
Et l’âme de l’enfant ne rejoint pas l’abîme
Le voici pénétrant dans Son règne immortel !
Nuit et soleil
Jésus-Christ est Seigneur à la gloire du Père
Dans le jardin, priant, considère le trait !
Pour tous l’être divin mais à chacun son rai :
Le fidèle témoin jamais ne désespère.
Voici l’heure survient, ô fils voilà ta mère.
Elle était simple et pure et toi qu’as-tu donc fait
De cette gente femme au visage défait ?
Au pied de la croix point cet amour qu’on repère !
Je vois sur le désert un flot se déverser
Quand le guerrier combat avec quelque verset
Sous l’action du vent et de grandes suppliques.
Il arrive des temps où chaque homme s’enfuit
Aux jours de l’apostat plus de saluts magiques :
Il nous faut un soleil pour éponger la nuit !
Aux esprits en prison
Te voilà retenu par ce que Tu déplores,
Une romance ancienne attachée à nos pas
Face aux baisers mortels qui cachent leurs appas,
Toi le Maître des Cieux, le Berger des aurores !
Ah ! Ce courant divin émanant de Tes pores
Poussant la créature à survivre au trépas
A faire ou bien mourir, exister ou ne pas !...
Voici ce qu’il faut dire aux brûlants météores.
Vois-tu l’ombre des nuits où le chérubin dort ?
En ces temps révolus, dans l’impossible port,
Quand bien-même il est dur d’essuyer quelques piques.
Lorsque le Seigneur parle aux esprits en prison
Provoquant en retour des lendemains épiques
Dans la voix du Messie aucune déraison !
D’autrefois
Fiers de nous être vus au matin de l’enfance,
Voici que maintenant, par les vents éperdus,
Un sourire paraît au sein des jours perdus,
La ronde des saisons rythmant leur douce offense.
Le printemps souverain prend du temps la défense
Et je te sens désir sous mes bras étendus,
Avant moi je suis toi, visages confondus,
Pareils aux claires eaux que nulle ombre n’offense.
Nous partirons demain au levant si tu veux.
Répandons notre cœur en de touchants aveux !
Cet amour est plus beau qu’un grand jardin de roses !
Mais le ciel se soumet à l’ombre quelquefois,
Quand minuit retentit sur l’horloge des choses :
O que ton regard ait le charme d’autrefois !
Enigmes
Irons-nous en enfer avec toi dulcinée ?
O viens me réchauffer en chassant ces hivers
Que le froid insolent métamorphose en vers
Car je vois dans tes yeux une onde trop bien née.
Je crains le temps qui fuit, insaisissable année,
Quand un feu rouge-sang éclaire nos travers
Donnant aux vérités quelques effets pervers
L’espérance des jours, la voici calcinée !
Pareil à l’oiseau triste oubliant son chemin
Tu déclares n’avoir pour autre parchemin
Qu’une Bible éculée aux énigmes sans nombre !
Le peuple a ses humeurs, la raison est ta loi,
Vois Sodome et Gomorrhe, il ne s’agit que d’ombre
Mais sans nul doute il faut aux esclaves un roi !
Les grandes citadelles
As-tu peur de la Nuit et des ombres mortelles
Toi le Pantocrator, le Roi de l’au-delà ?
Qui lutta jusqu’au bout avec cet ange-là
Implacable destin prends-le donc sous tes ailes !
Vérités sans espoir vous serez criminelles
Quand de la Galilée où Christ se révéla
L’excellence des jours, compagnons, la voilà !
Parmi le flot humain des grandes citadelles.
Cette coutume-ci qu’un Pilate voulait
Pour sauver le Seigneur d’un châtiment si laid
Fit du mont Golgotha ce sommet d’innocence !
Et quand se précisa l’inévitable deuil
J’entendis murmurer le credo de l’enfance
Pareil au vent léger à l’impossible orgueil !
Vision
Même du Ciel a chu le démon, mauvais ange,
Lieu de rédemption où souvent nous narguons
Les esprits devenus d’illustres parangons,
Quand le ruisseau du monde en flot amer se change !
Tu crois que l’eau d’en-haut lave mieux que la fange.
Encensoirs de la nuit sur le bleu des lagons,
Voici les Temps Nouveaux, ô sublimes jargons.
Tu te laisses tomber et ce n’est pas étrange !
L’Apocalypse exulte en Saint-Jean-bouche-d’or.
Les hommes dominés en demandent encor.
Minuit sonne : la cloche inonde alors la plaine.
L’un a rejoint le Christ, l’autre est au plus profond.
Mais quand s’approchera la liberté lointaine
Des peuples asservis ? Quelle grimace ils font !
Le meilleur
Sous les cieux je serais le plus triste des hommes
Si j’espère en Mamon, pour le siècle luttant,
Soumis à ce brouillard émanant de l’instant
Et qui voudrait cacher que de faux dieux nous sommes !
Mais pourquoi restes-tu dans l’enfer que tu nommes ?
Alors qu’à l’horizon l’on voit tomber Satan
Sous l’effet d’un éclair qui déclare : « va-t-en ! »,
Au-delà du néant et des grandes Sodomes !
Il te faut réagir par la seule vertu !
Depuis la nuit des temps je l’aurai combattu
Ce flux déliquescent à la vapeur muette !
O le flot dévorant d’un amour qu’on ressent !
C’est bien là désormais le meilleur du Poète :
De cet être inspiré je partage le sang !
La clef des Cieux
J’ai connu bien des gens qui, de la clef des Cieux,
Sont sûrs d’avoir un double, au moins dans leur mémoire
Et quand ils vont leur cri devient toute une histoire,
Etant religieux, presque mystérieux !
Vous avez tant souffert du soleil, des tempêtes,
Du feu, de la mitraille et du corps hérité,
Où donc passerez-vous toute l’éternité ?
Autrefois rayonnants, courbant déjà vos têtes !
Il existe un Amour qui jamais ne prend fin ;
On vous l’a déjà dit, au plus fort des mêlées,
Dedans ces durs combats d’âmes entremêlées,
O la Croix sans le Christ ! O ce Dieu que l’on feint !
Le mal vous a touché comme un poignard de guerre,
Lendemains décevants, rêves où l’on est seul,
Quand l’espace du temps se déguise en linceul :
C’est la nuit de celui qui se révèle austère !
Noces charnelles
Plus jamais désormais je ne dirai : « je t’aime ! »
Sauf aux jours de pardon où l’âme se dédit,
Où le destin s ‘arrête à ce qui n’est pas dit
Peut-être recevrai-je un long baiser quand même ?
Tu peux tuer mon ombre avec un poignard seul,
Comme si tu étais la compagne idéale,
Au moment où le roi te déclare vassale,
O descendons le corps pour le mettre en linceul !
Car nos cœurs sont partis à des années-lumière
De l’affection vraie. Irons-nous à Sion ?
Et l’on entend au loin la Compromission
Agoniser dessus un grand autel de pierre !
En ces temps de la fin nous aimerons-nous mieux
Que cet homme crachant encore sur la tombe ?
O le spectre éternel et la grand-nuit qui tombe !
J’entends ta voix me dire : « allons parmi les Cieux ! »
Consolation
Celui qui vient du ciel ne s’attend pas au pire
Même au martyre à l’heure où Jésus est debout
Dans un ciel glorieux devant un Dieu si doux
Seuls le savent vraiment ceux que le Père attire !
Il ne faut que l’amour pour éteindre la braise
Et l’insolent chagrin au front du trépassé
Quand le souffle de vie appartient au passé :
Heureux les affligés qu’un seul regard apaise !
O frères c’est bientôt la demeure du Père
Non pour être servis mais pour le seul Héros
Plus brillant qu’un soleil se mirant dans les flots :
Que Sa gloire édifie un monde qu’on espère !
Prémices
O marin prosterné devant la vague austère
Tes voiles sont des socs qui déchirent la mer
Rien n’est plus grandiose et l’on fait moins amer
Que le ballet des flots, inaboli mystère !
Devant l’immensité tu parviens à te taire
Esclave désormais au chant de l’outre-mer
Dans la profonde nuit, tu n’admets le steamer
Et l’on voit en ton sein un géant solitaire.
Nul ne sait d’où tu viens, la mesure d’effroi
Qu’un ange tentateur a pu laisser en toi
Comme l’ivraie impure en la moisson mature.
Penché sur l’univers je redirai toujours
Cette force des bœufs qu’un joug si doux capture
Crépuscule et noirceur, semailles et labours.
Ode au lac
Mon beau lac d’Annecy s’écrit en Lac Majeur
Point de conflit des âges !
Ni de nuit ni de jour il n’a le bras vengeur
Bienveillants entourages !
Mon beau lac d’Annecy ta présence est ivresse
Ta lame étreint le port !
Caresse les bateaux pareils à la maîtresse
L’esprit du lac ressort !
O mon lac près du roc où le flot vient mourir
En de purs sacrifices
Quel oiseau sous le ciel ne pourrait te chérir ?
Rassurants orifices !
O mon lac adoré, pierres impérissables !
Bien-aimé châtelain
Je suis toujours épris de tes rives aimables !
Ni larme ni chagrin.....
Incertitudes
Je ne sais pas vraiment qui vous êtes, Madame,
Ni la femme facile ou l’épouse serment
Celle que l’on rudoie et qui jamais ne ment
Mais cette fois je crains d’y perdre un peu mon âme !
L’aquilon appliqué façonne au loin la lame
Et la plaie au couteau saigne si fortement
Que je sens tout mon corps se vider, ô tourment,
Comme un ruisseau rougi que l’océan réclame.
Ah ! Vraiment me faut-il jeter un dévolu ?
Ne recevant jamais et n’ayant rien voulu :
Sur vos pas, incertain, je passe mes journées !
Comme au premier instant le désir est vivant
Mais le temps fuit souvent les amours trop bien nées
Et la fierté des jours les dissipe à tout vent !
Poème à Jeanne
Je t’aimais Jeanneton mais toi tu m’as dit « non ! »
O combats amoureux, ô charnelle épopée !
Contre quel souvenir as-tu brandi l’épée ?
Se peut-il qu’un matin je redise ton nom ?
Jeanneton, Jeanneton, éternelle espérance !
Pareil au flot creusant le rocher mis à nu
Le ressac de ton âme investit l’inconnu :
Héroïne impromptue ainsi que d’Arc en France !
J’ai vu ton corps frémir sous le vent de juillet :
Je n’avais qu’une ombrelle à te donner ma belle !
Dans tes yeux si profonds le monde se rebelle
Paradis incertains, univers inquiet.
Ai-je donc tout perdu si ce n’est la mémoire ?
Je t’appelle le jour, je pense à toi la nuit !
Seul le bruit de ta voix qui jamais ne me nuit
Proclame : « est- ce la fin ou serai-je ta gloire ? »
Montre - moi
Montre- moi ces désirs cachés en ta prunelle
Et j’irai sous les cieux non comme frappant l’air
Car il faut de l’azur pour éteindre l’éclair,
O ce torrent de pleurs qui nous brûle et ruisselle !
Mais dans mes derniers jours me seras-tu fidèle ?
Quand luttant tel un loup emporté par son flair
J’invoquerai sans cesse avec le regard clair
La flamme de l’amour, ténébreuse étincelle.
Délirer dans la nuit, voici mon avenir !
A la quête du temps m’en aller, revenir,
Honorer cet ancêtre à la barbe fleurie.
Univers apprends-moi le chant des moissonneurs !
A moi l’être incertain pétri de rêverie
Re-belle
Voici qu’elle est si belle et souvent si rebelle
Que j’en oublie alors de célébrer le ciel
Aux jours de ces tourments qui se veulent pluriel
Mais allons sur le flot se déroulant pour elle !
Etonnés en ce temps que simple demoiselle
Ecoutant le serpent plus amer que le fiel,
Triste, les yeux défaits dans une aube de miel,
Ait pu seule amener la faute originelle.
O femme brises-tu de l’erreur le pouvoir ?
Sais-tu que le désir nous empêche de voir ?
Jusqu’en ces lieux mortels où le mensonge abonde !
Par de sombres accents le mal dicte sa loi :
Quand l’aquilon rageur jette un vaisseau dans l’onde
Tous posent sur l’abîme un terrible : « pourquoi ? »
Royaumes et moissons
Je ferai la moisson d’un immense royaume
O femme dont la voix vient effacer l’effroi
De ces temps insoumis où le printemps a froid
Et se fige en nos yeux, pareil à ce fantôme.
Au Paradis je vois le saint Jean Chrysostome
République incertaine à l’impossible roi
Inaboli concept de louange du moi
Quand le prince paraît à son beffroi de chaume.
Je ne peux qu’oublier ce vestige charnel
Que le Sauveur puissant ne désire éternel :
Il me faut c’est certain abjurer Babylone !
Je crie « ô Liberté ! » lorsque le vent exclut !
Pas un souffle en la nuit, nul piédestal, nul trône,
Ne sauront m’asservir au jour de mon salut !
Meurtrissures
On pouvait lire Dieu sur son pâle visage
J’ai conduit cet enfant à ce grand hôpital
Par un vent de mal-être, ô le geste fatal !
Et je lui souriais quand il perdait courage !
A l’infini des pleurs c’est le Ciel qu’on outrage
Mais le petit humain au regard de cristal
Déjà sèche ses yeux en un sursaut vital :
Le mal se fait raison, et l’on rit davantage !
Fils d’homme il te faudra triompher du néant
Pareil au chevalier affrontant un géant !
Ramener à l’azur tout ce que tu déplores !
Non pour un pieux souci mais pour un réconfort
J’embrasserai ton front au meilleur des aurores :
Viens et vois ce séjour que le propos rend fort !
Sans le voir
Des amours débridés je reconnais les flammes
Même aux instants de peine où l’autre fait idem
Et s’en va sous les cieux rechercher « carpe diem »
Que donnerait cet Homme en rançon pour nos âmes ?
Ce Fils interrompu sans Le voir nous L’aimâmes
O les calmes accents des nuits de Bethléem !
O le bourdonnement de la Jérusalem !
Jusqu’au tombeau désert où pénètrent les femmes.
Lorsque le sang jaillit, quand Tu Te fais hagard,
O Toi dont le passant détourne le regard
Reçois du genre humain l’habit de moquerie !
Enveloppé d’un drap, d’un linceul pur et blanc,
Voici donc ce Messie à l’empreinte meurtrie
Mais se peut-il qu’Il soit au Père ressemblant ?
Anathema
Jamais auparavant je n’avais dit « je t’aime »
Sauf aux moments de joie où nos cœurs réunis
Proclamaient du bonheur les accents infinis
Qu’il fait bon se mouvoir au sein du désir même !
Les mots sont des fusils, mais faut-il l’anathème ?
Quand le fleuve du mal où s’en vont les bannis
Vient déchirer la nue et ses refrains bénis
Flots hagards du chaos, ô mal-être suprême !
Nous voici dans un monde ô combien inconnu !
Celui de ce vouloir intemporel et nu
Sous un ciel ténébreux je dois gagner l’aurore !
L’amour parfait n’est plus qu’un vestige éternel
Au jour de l’apostat le chercherai-je encore ?
Hélas l’esprit se meurt aux portes du charnel !
Si
Si le présent t’ennuie alors cherche la Vie
D’où venons-nous ? Que faisons-nous ?
Voilà ce que diront les peuples à genoux
Insatiable faim par le geste suivie.
Il te faut contempler la glèbe inassouvie
Ce murmure charnel où les autres sont doux
Quand la morale appelle à surmonter les coups
Détournant du prochain tous les regards d’envie.
Voilà ce ciel timide où l’astre se morfond
Et je vois bien souvent le syndrome profond
Des couches de limon par l’araire blessées.
O la procession des esprits oublieux !
O les chants du printemps ! O les nobles pensées !
Parcourant l’univers en je ne sais quels lieux !
Liens
...Car un jour je suis là puis ailleurs en un autre.
Voyageur au long cours par l’immense univers,
O le vaisseau glissant parmi les flots ouverts !
S’il me faut un destin je choisis donc le vôtre !
« L’Amour Parfait bannit la crainte » dit l’apôtre.
Dans le gouffre sans fond des énoncés divers,
L’obscure vérité devient jour à travers.
Ce lien murmuré, c’est simplement le nôtre !
A l’heure où mon poème injustement proscrit
S’élève jusqu’aux cieux comme un divin écrit,
Nos regards les plus doux se font bonheurs suprêmes.
Le baiser sur la chair, les deux cœurs reliés,
Nous voulons tout sentir sans nous tromper nous-mêmes.
J’entends la voix du Christ : « en rien ne m’oubliez ! »
Pour l’Eternité ?
Quand mon œil resplendit dessus ta peau livide,
Comme un soleil luisant au sein de l’hiver blanc
Qui croît et qui décroît à mesure, tremblant,
Ce que je vois enfant se fait ciel qu’on dévide.
Tu te moques de tout ! Recherches-tu le vide ?
Ma sœur, toi mon égale, au visage troublant,
Quelque pleur à la joue, un baiser ruisselant,
Face au temps qui s’enfuit veux-tu vivre impavide ?
Qu’importe la saison ta bouche à tout moment
Résonne des accents d’un amour qui ne ment.
Femme fais-moi vibrer comme corde à la lyre !
Oui ! L’amour est charmant, pareil à cet été :
Je prononce ton nom au-delà du délire !
Mais nos feux brûlent-ils pour une éternité
Heureux celui !
Heureux celui qui part sans aucune espérance
A lui viendra la paix. Heureux celui qui meurt
Sans autre geste vrai que le bras du semeur
Heureux les ignorants, les chemins de l’errance !
Bienheureux seras-tu visage contre ciel
Lorsqu’un infâme ver te rongera la face !
Parcourant tout ton corps au gré de son audace
Heureux la chair meurtrie et les muscles de fiel !
Heureux ceux qui sont morts debout dans la tourmente
Ils verront, ils verront le fruit de leur combat
Cependant devaient-ils en découdre ici-bas ?
Leur corps interrompu ne dément ni ne vante !
Bienheureux seras-tu quand tu ne sauras où
Est ton chemin dernier ! C’est là que tout commence
Tu ne peux ni ne dois en oublier l’immense :
Il te faudra lutter pour un destin plus doux !
Parfois
Parfois, le cœur si las, parmi les pleurs de l’onde,
Mon esprit vagabond suit l’aquilon rageur
Qui sévit sur les mers en un courant majeur,
Souffrant d’opacité quand le mensonge abonde !
Je vois l’océan triste et la terre inféconde
O jours des mois d’hiver où par un flot vengeur
Les écluses des cieux déversent leur humeur,
Fleuves impétueux qu’un soleil gris inonde !
A l’homme impénitent je proscrirai cent fois
Ce désordre charnel qui nous laisse sans voix
Pareil au cri muet se grimant en délire.
Tu t’en vas satisfait mais qui peut s’y fier ?
Réapprends ce refrain sur le corps de ta lyre
Toi le musicien au chant magnifié !
Humanum est
Maintenant tu gémis et tu me dis, morose,
Qu’il fait déjà trop chaud au soleil des amours
Que rien ne peut venir expier les détours
Aurais-tu désappris le charme de la rose ?
Il se peut qu’avec toi j’aie souvent oublié
Ce qui fait le respect, tout son fondement même
C’est pourquoi sans tarder je te redis « je t’aime ! »
Et m’en vais sous les cieux toujours associé.
Le temps est-il si court ? L’onde trop éphémère ?
Je ne sais si tu crois au discours du bonheur
Mais quand je pense à toi je dis dedans mon cœur
Qu’elle soit une femme, une épouse, une mère !
Demain, bientôt demain : nos ultimes regards
Doucement s’en iront vers un autre rivage
Tu es mon continent, ma presqu’île sauvage,
O cette folle joie, ô tant de purs égards !
Le cri
Tu portais à la lèvre une Chanson d’espoir
Et Tu ne donnais pas comme le monde donne
Bénissant les humains du regard qui pardonne
Un Chant pour le brigand debout pour l’au-revoir.
O le Cri rédempteur qui saisit tout mon âge
Même aux nuits de tristesse où je m’en vais captif
Promener mes désirs sur un dernier récif
Qu’il m’est doux d’accomplir l’impossible voyage !
Quand Tu portes sur l’homme un regard singulier
Lorsque Judas trahit pour un peu d’argent même
Lorsque Simon renie au petit matin blême
Quand Tu vois en ce jour tout Ton corps écorché !
Je crie à Toi, Jésus, Souverain et Messie
Qui périt sur la Croix dans un geste d’amour
Délivrant aux prochains un bienfait tour à tour
Pour que l’aube se lève en une prophétie !
Les rayons ténébreux
Je connais de ton ciel bien plus que les étoiles,
Essaims dans tes yeux nus, immuables beautés,
O cercles de lumière en l’espace jetés !
Comme le peintre met l’infini dans ses toiles.
Sur nos corps allongés je ne sens que des voiles.
Prophète, étends la main : que les jours avortés
S’en aillent ! Oui venez, spectacles enchantés !
D’autres feux nous suivront ; envoyons les grand-voiles !
Enfant si tu le veux nous paraîtrons vainqueurs,
En l’éternel secret où l’on joindra nos cœurs,
Regardant au levant, par un matin superbe.
Ainsi que la lueur sur les peuples hébreux,
Abolissant la nuit par le geste et le verbe,
Nous voici pénétrés de rayons ténébreux !
Silence sonore
Je priais, comme si, prêt à quitter ce monde
J’eusse été contrefait par un geste trompeur
Au moment où Judas croyait vaincre sa peur
En ce jour J’implorais : « garde Moi de l’immonde ! »
Et voulant M’élever jusqu’au faîte de l’onde
Pareil à cet oiseau se grisant de vapeur
Je dis au centenier d’abolir la stupeur
De l’impossible croix où le salut abonde.
Et quand vint s’assouvir la sanguinaire faim
Mon âme s’écria : « c’est l’endroit de Ma fin ! »
O parfums belliqueux d’une plèbe inconnue !
A midi s’assombrit ce soleil qui s’enfuit
La charnelle vertu s’en allant triste et nue
Le silence parla, le jour devint la nuit.
Venez à Moi !
Je parle devant toi sans déraison aucune
Venez à Moi vous tous qui peinez fatigués
L’esprit gourd et l’objet de Mes soins, prodigués
En des temps bien mauvais, par des jours de rancune.
De ton destin amer Je ressens l’infortune
Celle de l’être humain cherchant partout des gués
Quand il ne sert à rien de vivre, relégués
Car il se peut que l’homme ignore sa lacune.
Sur l’horizon troublé Je vois les Cieux s’ouvrir
Et Lucifer tomber pour n’y plus revenir
L’existence à nos fronts serait-elle éternelle ?
Au petit matin blême, aux vents d’inanité
La glèbe resplendit, libation charnelle :
Déjà Je sens frémir toute l’immensité !
Dieu ?
La Vie en son esprit ô jamais ne se vante :
Puisqu’il faut qu’un Seigneur se dévoile, éternel,
Le mal en son sanglot reste souvent charnel
Et rien ne vient troubler une mort émouvante !
O souffle sépulcral qu’un rayon épouvante,
Horizon de nos jours, ô pleur intemporel,
Pour un temps le tourment et pour l’autre le Ciel,
Idole inabolie, espérance vivante !
Babylone je vois tes crimes impunis
Quand les chants d’au-delà, des moments infinis,
Ne peuvent nous soustraire à l’aquilon qui passe !
Le regard se fait saint, certains l’appellent Dieu :
Si c’est Toi donne-nous de confondre l’espace
Et tout sera sublime en ce terrestre lieu !
Renaissance
Lac de Génésareth que nous dit la réplique ?
D’un Christ entreprenant : « allons sur l’autre bord ! »
Comme un ange puissant qui maintenant s’endort
Et domine le flot d’une façon unique.
Il se peut que j’ai tort mais alors qu’on m’explique
Ce paradis charnel où le démon nous mord
Ah ! vivement la nuit : que l’ombre de la mort
Chasse les irréels par un trait authentique !
Pour abolir le feu je demande une croix
La raison devient jour quand le soleil décroît
A trop chercher le Ciel je perds toute jeunesse !
Le prophète déclare : « il faut vivre à genoux ! »
Mais le temps des amours, ô mon Dieu, qu’il renaisse !
Et peut-on dignement assumer tous les coups ?
Comme un train
Je cours sur le chemin comme un train sur sa voie,
Déroulant fièrement ma foulée en sillon,
Soldat mystérieux, messager qu’on envoie,
O profonde est ma voix et mon souffle aquilon !
Le marathonien était-il plus coupable,
Qu’un rétiaire habile à son filet piégé ?
Je voudrais que chacun fasse amende honorable,
De l’impassible mer jusqu’au torrent léger.
La nuit s’est approchée et la grande ourse allume
Des feux si gracieux mon pas se fait miroir !
Et mon âme s’y lit comme un vaisseau qui fume
Dessus un océan ô combien triste et noir !
Parfois, pour exister, je cours plus vite encore,
Au devant du futur, au-delà de mes jours,
Car la loi de l’Esprit de Celui que j’adore
Me dit : l’aube n’est pas sans le cri des amours !
Le poète
Comme ce créateur au tout début du monde
Le poète soutient par le verbe puissant
Un soleil hésitant en son premier accent
Quand le salut lointain s’approche et nous inonde.
Ses yeux suivent la vague incertaine, profonde
C’est donc la fin des temps, ô cortège incessant
De silence et de bruit, au cri de l’Innocent
Peut-être que demain il séchera cette onde !
Il fait jour à minuit et l’aube ne craint pas
De dévêtir les cieux, d’en montrer les appas
Au léger battement des paupières mi-closes.
Le destin se décline en une trahison
Il voit un grand jardin, Gethsémané des roses :
Pour survivre à la Nuit il se fera tison !
En chantant
Célébrer son amour aux jours de la jeunesse !
Voici le vrai de vivre où l’autre n’est banni
Car le Ciel peut offrir à l’être démuni
Ce désir insolent qui bien souvent nous presse !
Des matins glorieux j’en connais la promesse !
Mais le flux du souffrir se déroule, infini,
Comme un crime de sang demeurant impuni,
Mis à part le remords qui face à nous se dresse !
O peuple impénitent laisse donc tes autels !
Les pleurs des condamnés font de nous des mortels
Et la raison triomphe en un cri de colère !
Pouvons-nous étouffer ces sanglots qu’on entend ?
Quand des feux languissants l’on ressent la misère :
Cette sorte de mal ne s’en va qu’en chantant !
Les yeux interrompus
Ma bien-aimée allons où se défont les larmes
Il en gît si souvent que se perdent les mieux
Pleurs vite parfumés aux écluses des cieux
Quand le gris vient s’unir aux couleurs de nos armes.
Autour de tes grands yeux je nage à l’infini :
Quelquefois une ondée apparait, si perverse,
Sur un bout de soleil se produit une averse
Qui s’en va pour jamais. Et puis tout est fini !
Tes yeux sont peu soucieux lorsqu’un pleur nous attarde
J’y verrai quand tu mens comme un fruit défendu
Pareil au ciel jaloux après un inconnu
Il se pourrait qu’un jour ton désir ne se farde !
Et verrai-je venir à l’horizon des mots
Les grands vents irréels anges briseurs d’orage
Je suis pris par le flot en vivant d’âge en âge
Tes yeux sont un jardin peuplé de grands rameaux !
Qu’avons-nous fait ?
Qu’avons-nous fait, amour, qu’avons-nous fait des jours ?
Le soleil s’est défait aux vitraux de l’église
Et la nuit doucement sur le puits s’est assise
Qu’avons-nous fait, amour, par un jour sans retours ?
Par un jour sans retours, nous avons mis nos âmes
En commun : souvenirs d’adolescents rêveurs ?
Adultes animés d’impossibles ferveurs ?
Qu’avons-nous fait, amour, en ces moments de flammes ?
En ces jours s’enflammant, qu’avons-nous fait du temps ?
Nos deux poèmes joints s’écrivent sans mesure
Les plus beaux de nos vers ne veulent de césure
Qu’avons-nous fait, amour, si ce n’est d’aimer tant ?
Si ce n’est d’aimer tant, sans la moindre infamie,
Quand vient, au bois dormant, comme un cœur éperdu,
(Là-bas où s’accomplit ce qui semblait perdu)
Le prince réveiller la princesse endormie.
Lumière
Bien sûr la mort est au revoir,
Puisque tous deux nous pouvons voir
Ce grand faisceau qui nous éclaire.
Mais quand viendra le vrai moment
De s’en aller un court instant,
Pour revenir à la Lumière,
Que nos regards appesantis
Sur nos chemins et sur nos vies
S’emplissent de la joie du Père !